Communications

Les Seigneurs de La Brède par Monique Brut – Séance du 13 Janvier 2014

Les Seigneurs de La Brède (couverture)

 Chers confrères,

 Je vous remercie de me permettre d’évoquer les grandes lignes de mon dernier ouvrage : « Les seigneurs de La Brède, du Moyen-âge à Montesquieu ».

En 2013, à La Brède, nous avons voulu faire revivre la partie « maternelle » de la noblesse de Charles-Louis de Secondat car il était devenu baron de La Brède 300 ans plus tôt, au décès de Jacques, son père (novembre 1713).

Dans mes livres précédents, j’avais déjà assez longuement retracé la vie des familles de Pesnel et Secondat. Mais tout ce qui concernait le Haut Moyen-âge (famille de La Lande) et la Renaissance (famille de Lisle) était d’un flou « artistique » remarquable, chez tous les historiens du XIXe siècle et XXe siècle pour la simple raison… que les ancêtres maternels ne les avaient jamais particulièrement intéressés ! Montesquieu lui-même assure à cet égard « un service minimum » ! Alors qu’il s’étend plus volontiers sur les Secondat. Ces derniers, pourtant, n’étaient barons de Montesquieu que depuis 1606 ; alors que les Seigneurs de La Brède remontent aux tous débuts de la chevalerie !

Ayant donc le projet de raconter, lors de la « Journée Montesquieu et Nous » du 14 septembre 2013, tout l’épisode de l’hommage rendu par notre baron pour devenir seigneur en titre des domaines ancestraux, j’ai relu Desgraves, Shackleton, Barrière, Delpit, Vian, Dormontal, Baurein, Latapie, Bernardau. Il en est de même pour des textes de Mrs Peyrègue (1954), Ribadieu (1866) et Meaudre de Lapouyade (1934) par exemple. La plupart d’entre eux avait écrit au sujet des ancêtres brédois très peu de choses, se contredisant entre elles, avec des  « trous » de mémoire importants… Et je me suis ainsi résolue à plonger dans dix « tiroirs » de Manuscrits, répertoriés par Louis Desgraves (1998) dans son Inventaire du Fonds Montesquieu à la Bibliothèque municipale de Bordeaux. Je les avais sélectionnés, avant de les consulter pendant des heures, avec deux amies précieuses : Hélène de Bellaigue et Hélène Brun Puginier.

La direction de la Bibliothèque municipale de Bordeaux m’a ensuite autorisée à reproduire les clichés réalisés, je l’en remercie vivement.

Avant de vous raconter certains épisodes de la « saga » brédoise, je voudrais vous dire que les archives du Château remontent à quasiment Aliénor d’Aquitaine [Montesquieu s’en est servi, il le dit lui-même, lors du célèbre procès interminable qui l’opposa à la Jurade de Bordeaux, au sujet des landes de Martillac] !

J’ai fait des trouvailles bouleversantes, émouvantes, inespérées : c’est ainsi que j’ai pu faire revivre des hommes et des femmes au destin tombé dans l’oubli.

Je tiens à redire que c’est avec beaucoup d’humilité et une extrême modestie que je livre dans mon dernier ouvrage « mon récit » de cette histoire brédoise…puisqu’il reste tant de choses encore à découvrir.

 Les La Lande

 Depuis la nuit des temps féodaux, il y eut, sur l’emplacement actuel du château, une motte castrale, déjà appelée « la brède », entourée de bois épais et de landes humides. Ce poste de garde avancé de la ville de Bordeaux a toujours été placé sous la responsabilité de « gens d’armes », Chevaliers, dénommés et membres des « BORDEAUX »…. [Comme vous aviez, parmi les vingt familles les plus influentes, les SOLER, les PAULIN, les PEY, les CAILHAU, les COULOMB…]. Ils ont des terres tout autour de La Brède et posséderont pendant des siècles leur Hôtel accolé au Palais de l’Ombrière, résidence de Ducs d’Aquitaine.

Vers 1120/1150, nous avons un Arnaud 1er de Bordeaux, chevalier, seigneur « d’une îsle de la lande », située sur la Garonne à Cadaujac, et seigneur de La Brède… C’est à partir d’Arnaud 1er que peu à peu les seigneurs des terres de La Brède vont s’appeler « de La Lande » !

Notre confrère, le Docteur Colle, nous contera sûrement très prochainement l’exploit légendaire d’un chevalier de cette famille de La Lande, en 1206.

Je ne parlerai pas ce soir de tous les Arnaud, Pierre et autres Gaillard de La Lande qui jalonnent les premières pages de mon livre…

Retrouvons les La Lande dans la suite rapprochée des Ducs d’Aquitaine, rois ou princes d’Angleterre ! Et notamment dans l’entourage guerrier d’Edouard de Woodstock, le célèbre Prince Noir, dans les années 1360/1370.

Apres une « série » de prénoms en Gaillard (5), nous aurons une « série » de Jean (6).

Justement, en juillet 1363, tout ce que la Province compte de vassaux est rassemblée en grand apparat à la Cathédrale de Bordeaux, afin de prêter serment de fidélité au Prince Noir, nommé vice-roi de Guyenne par Edouard III, son père.

Jean 1er (fils d’Arnaud III) de La Lande accomplit le rituel que ses ancêtres ont déjà respecté bien avant lui : «  estant à genoils, engenoles, sans cynture ni chaperoun, tenaunt ses manis joyntes, per les manis du dit seigneur » et jurant fidélité.

Souvenez-vous de cette citation moyenâgeuse !

Nous voici vers l’an 1400 et nous faisons connaissance avec Jean V de La Lande.

Vous pouvez tout à fait l’imaginer en armure « genre Ivanhoé », juché sur un fier destrier, la lance au coté, suivi de son écuyer et de 2 ou 3 gens de pied…

Il se marie 2 fois :

Son premier mariage, socialement et familialement, sera très important. Jean V s’est marié en 1426 à Jeanne de Foix, fille du très puissant Captal de Buch, Gaston de Foix, aux importantes fonctions civiles et militaires, issu d’une illustre lignée familiale.

Ils auront 4 enfants. Jeanne meurt à 23ans en 1434, certainement des suites de la naissance du dernier enfant.

En 1435, second mariage, sans enfant semble-t-il, avec Bonne d’Anglade.

L’Histoire de France va avoir de lourdes conséquences sur l’histoire de La Brède !

Prenons les faits dans l’ordre :

En 1439, Jean V rend hommage ainsi que tous les chevaliers aquitains, au nouveau roi d’Angleterre, Henri VI. Sur tous les documents, son nom est toujours suivi du titre : « Seigneur de La Brède », « noble et puissant baron… »

Le roi de France, Charles VII, ayant achevé la conquête de la Normandie, décide de récupérer la Guyenne, où là aussi les Anglais sont affaiblis.

Quatre corps d’armées (conduits par Dunois, Penthièvre, Foix et Armagnac) partent à la conquête du duché, pris en tenaille. Toutes les villes autour de Bordeaux tombent ; la cité résiste en espérant-en vain-le renfort du roi d’Angleterre.

En juin 1451, la ville, donc le duché, capitule… Un traité est signé en grandes pompes entre les envoyés de Charles VII et les Jurats ; les chevaliers aquitains signent également, dont Jean V de La Lande, dûment cité dans les parchemins royaux.

Mais les chevaliers Gascons et les Jurats ne tiennent pas parole ! En juillet 1453, rangés en ordre de bataille derrière le Général John Talbot (80 ans), tout ce beau monde se fait battre à Castillon aux portes de Libourne. L’artillerie du roi de France a fait des ravages dans les rangs des chevaliers bordelais.

Le second traité du 12 octobre 1453 est impitoyable pour les vaincus de Guyenne ! Jean V de La Lande fait partie des seigneurs obligés de signer la reddition ; il doit s’agenouiller pour rendre hommage au roi de France au nom du duché dans son ensemble… Humiliation doublée d’une autre mauvaise nouvelle : comme lui, son fils aîné Jean VI, âgé d’environ 16/18 ans, a été fait prisonnier à Castillon.

Avec d’autres, considérés comme parjures, ils se réfugient à Londres ; ils doivent une forte rançon au roi de France et sont bannis du Royaume. L’exil durera 10 longues années.

Je résume cela, bien sûr, car nous savons plus de détails sur leur départ, sur leur vie à Londres ainsi que celle de leurs compagnons d’exil. Pour simplifier, disons qu’ils deviennent « armateurs » d’un bateau (plus près de contrebandiers que d’honnêtes marchands, selon les circonstances !), comme près de 200 autres « réfugiés ». Le roi Henri VI continue à leur accorder son soutien ; par exemple, en plus de licences pour les bateaux, il « nommera » Jean V de La Lande, en 1460, Maire de Bordeaux, espérant mordicus reconquérir l’Aquitaine ! Et en 1461, il lui attribue des concessions (on ne sait pas lesquelles) sur le territoire de Calais…

Le nouveau roi Louis XI, constatant que la ruine économique s’est abattue sur le duché-ce qui est mauvais pour le royaume-après qu’un quart des habitants les plus riches aient fui outre-Manche en 10 ans, Louis XI donc, va « pardonner ». Et c’est ainsi qu’en 1463, Jean VI dit « Le Jeune » est seul autorisé à reprendre possession de tous les biens et du château, qui lui avaient été confisqués et qui ont subi les pires avanies par le Sénéchal du Poitou, Jean de Beaumont, « nouveau propriétaire ». Il rendra hommage à Louis XI en 1469 et 1472. Il obtiendra même la permission de reconstruire et fortifier son château. Son père Jean V meurt en 1471 ; il est enterré à Londres.

Jean VI est resté, semble- t-il, célibataire. Il meurt en 1485, après avoir institué, par testament, sa sœur Catherine de La Lande, baronne de La Brède (elle vient juste de devenir veuve).

C’est elle qui épouse, vers 1445 (avant l’exil de son frère et de son père), Gaston (1er) de Lisle et de La Rivière/Fronsac (mort en 1485). C’est une baronne efficace, intelligente, consciente de sa noblesse, mère de 5 enfants dont un seul, Gaillard, aura des descendants ! Elle meurt en 1502.

 Les de Lisle

 Voici donc arrivée la 2ème famille, les de Lisle, riches seigneurs de la Rivière à Fronsac. Les deux petits-enfants de Catherine et Gaston 1er de Lisle seront orphelins tout bébés : une fille, Françoise ; et Gaston II de Lisle (1509-1569).

C’est un de leurs oncles, « Jeannot » de Lisle, qui sera leur tuteur, attentif à leurs intérêts. Et pourtant, c’est lui que sa mère Catherine avait déshérité pour « mauvaise conduite » ! Il obtint du roi la création des foires de La Brède.[Celle de Sainte-Luce, en décembre, existe encore]

Gaston II épouse d’abord en 1526, Marguerite de Montbron. Il a alors 17ans. Celle-ci meurt vingt ans plus tard, sans enfants.

En 1548, il épouse en secondes noces, Bonnaventure de Lur. Il a 42 ans ; elle en a 14. Elle sera veuve à 35 ans et aura 4 enfants. Baronne de La Brède en 1569 au décès de son époux, elle aura connu 5 rois, Henri II, Charles IX, Henri III, Henri IV et Louis XIII, avant de mourir à 83 ans en 1617-18. Son testament, immense, est émouvant.

Riche héritière de la famille de Lur, dans les Landes, fille unique de Pierre, vicomte d’Uza, je l’appelle « l’Aliénor de La Brède » ! Une femme, mère, grand-mère et baronne exceptionnelle. Trois actes entre elle et les paysans de La Brède, qui veulent se réfugier dans l’église pendant les guerres de Religion, nous sont connus. Ces épisodes brédois sont évoqués dans mon livre ainsi que toute la période des guerres de Religion.

Elle va donc traverser ces années affreuses de guerre civile. Son seul fils meurt 3 ans après le père, en 1572, triste année de la Saint Barthélémy. Deux filles sont mariées.

C’est par la petite dernière : Françoise de Lisle, que les Pesnel vont arriver au château.

 Les Pesnel

 L’écuyer Jean Pesnel apparait en 1577 pour épouser Françoise de Lisle. Il vient d’un minuscule village (Barro/Couture) près d’Angoulême. Cette année, j’ai découvert qu’il était en fait Gentilhomme d’honneur de la Reine mère, Catherine de Médicis. Ils ont 3 fils (peut-être une fille ?). Malheureusement, Bonnaventure, grand-mère attentionnée, devra donc élever ses petits-fils car Françoise meurt (en 1587), 7 ans plus tard. Jean Pesnel repartira dans ses terres, muni de sauf-conduits (reproduits dans mon ouvrage) signés de la Reine mère elle-même, car sans passeport, en ces temps de guerre civile, on n’est pas sûr de voyager sain et sauf (même Montaigne en fit la fâcheuse expérience).

Il se remariera aussitôt, et ses fils auront 3 « demi-sœurs ». Pierre et Geoffroy de Pesnel, barons l’un après l’autre, vont sur place deux fois à Barro pour la succession de leur père ; l’argent touché leur servira à acquérir aux enchères (après diverses péripéties), le beau domaine viticole de Rochemorin à Martillac, en 1624. Ils seront de brillants barons, tres attachés à profiter de la paix du royaume pour mettre la baronnie en valeur.

Les Secondat

 Sautons de 1624 à 1686,

Voici qu’apparait un charmant mousquetaire, Jacques de Secondat (1654). IL a failli devenir religieux comme six de ses frères et sœurs ; il s’est enfui, à 16 ans, du couvent parisien où il venait d’arriver sur ordre de son père, le très strict Gaston de Secondat, baron de Montesquieu, Président du Parlement de Bordeaux !! (S’il n’avait pas désobéi…il n’y aurait pas eu « Montesquieu » et ses actuels descendants).

Après 17 ans dans les armées de Louis XIV, sans aucun bien, il tombe amoureux, à 32ans- et c’est réciproque- de la jeune baronne de La Brède âgée de 21 ans, Marie-Françoise de Pesnel (1665-1696). Le mariage a lieu le 25 septembre 1686.

Hélas, nous savons qu’à 31 ans, sa chère Marie-Françoise meurt 18 jours après la naissance de son 6e enfant. Charles-Louis est orphelin à 7 ans : on l’oublie toujours.

Son père meurt 17 ans plus tard, le 15 novembre 1713.

Charles-Louis de Secondat, que l’on appelle depuis sa naissance « Monsieur de La Brède », a 24 ans et se trouve à Paris où il mène une vie de célibataire ; il ne peut arriver que le 5 décembre au château.

Il a donc bien le titre de « baron de La Brède », mais il doit, comme ses plus lointains ancêtres maternels, rendre hommage, personnellement et «  physiquement » au roi Louis XIV qui n’en finit pas de s’éteindre… en entrainant le pays dans une misère sans fin ! (Son père et lui ne l’aimaient pas du tout, pour de multiples raisons qu’il serait trop long d’évoquer ici).

Le voilà plongé du jour au lendemain (car il menait une vie insouciante à Paris) dans les tracasseries administratives de l’époque et les obligations financières découlant de la succession vis-à-vis de ses deux sœurs et de son frère, vivants, tous religieux, sans parler des terres plus ou moins à l’abandon et des dettes restant encore de la succession de ses grands-parents.

Le plus important reste à accomplir et dans des délais impératifs sous peine de perdre tous ses droits sur la baronnie. Nous avons les copies ou les originaux de ces documents.

Il est convoqué le 6 juillet 1714 pour se présenter en personne et « rendre hommage » au roi devant ses représentants, cela avant le 16.

Mais voilà que Charles-Louis est cloué au lit, depuis six jours ! Le chirurgien de la Brède, Réaud, établit un Certificat médical, contresigné d’un ancien procureur, daté du 15 juillet et nous savons grâce à ce petit « billet d’excuse » qu’il est atteint d’une fièvre double tierce (crise de paludisme, très répandue dans la région bordelaise à cette époque, à cause des landes humides et insalubres en été).

Il s’empresse de donner, le même jour, procuration au Sieur Pierre La Ferrière, procureur au bureau des Trésoriers de France à Bordeaux, représentants du roi. Le 18 juillet 1714, c’est La Ferrière qui accomplit le rituel d’hommage, à titre semble-t-il, très exceptionnel. On peut penser que l’oncle Jean-Baptiste, Président du Parlement, a usé de toute son influence pour faire accepter la dérogation…

De ce fait, tout à fait rarissime, Charles-Louis ne s’est pas incliné, même symboliquement, devant Louis XIV, et soyons sûrs qu’il en fut bien aise, « vrai » ou « faux » certificat médical à l’appui !?

Finalement, Louis XIV meurt le 1er septembre 1715. Son arrière-petit-fils, de 5 ans et demi, Louis XV, devient roi. La tradition immuable se répète dans tout le royaume : le 2 juillet 1716, Charles-Louis, (encore petit hobereau inconnu car…les « Lettres persanes », ne seront publiées que dans cinq ans) baron de La Brède, et de Montesquieu depuis 3 mois (décès de l’oncle Jean-Baptiste dont il est l’héritier) rend hommage, en personne, à Bordeaux, devant les représentants du roi, au Palais de l’Ombrière, siège de la Sénéchaussée de Guyenne.

Ainsi qu’il est écrit sur le document, notre futur Grand Homme des Lumières « tête nue, les deux genoux à terre, sans ceinture, épée, ni éperon, tenant les mains jointes, a fait et rendu les Foi, Hommage et Serment de Fidélité qu’il doit et est tenu de faire au Roi, notre sire Louis XV (…) pour raison de la terre et de la seigneurie de La Brède en tout Droit et Justice, appartenance et dépendances. Promis et juré sur les Saints Evangiles d’être bon et fidèle sujet et vassal du Roi ».