Madame la Présidente, Monsieur le secrétaire perpétuel, chères consœurs, chers confrères, Mesdames et Messieurs,
Monsieur le Professeur,
Vous êtes sans doute étonné qu’un ami et collègue de plus de quarante années vous salue par ce solennel titre universitaire ; la raison en est qu’au seuil de ce discours de réception je souhaite souligner la manière exemplaire avec laquelle vous avez rempli vos fonctions de professeur d’université et en conséquence l’honneur que vous nous faites en devenant un des membres résidants de cette compagnie.
C’est un immense plaisir pour moi de participer à ce rite d’intronisation et de procéder à votre éloge devant vos proches et amis ; surtout devant les membres de l’Académie Nationale des Sciences, Belles-Lettres et Arts de Bordeaux. Permettez-moi de saluer la présence parmi nous de votre épouse Jocelyne Mondot ainsi que de vos enfants, Pierre et Jean-François. Si votre modestie souffre de mes propos, sachez que le candidat à un fauteuil académique est contraint d’écouter chanter ses louanges ; votre sens de l’humour vous permettra de traverser cette épreuve en vous souvenant que peu de personnes ont l’occasion d’entendre prononcer leur éloge de leur vivant.
Et vous êtes bien vivant depuis l’année 1943 qui vous vit naître ; au cours des décennies qui vont suivre vous allez accumuler travail et savoir et vous retrouver couvert des titres qui ponctuent une carrière universitaire particulièrement réussie.
Votre père, André Mondot, est germaniste et vous allez suivre sa voie ; il enseignait au lycée Montesquieu, vous y serez élève, avant de rejoindre, comme étudiant, les classes de khâgne puis les amphithéâtres de la Faculté des Lettres de Bordeaux, cours Pasteur.
Suivent la réussite au concours de l’agrégation d’allemand et un temps d’enseignement d’abord au lycée Jean Dautet de La Rochelle puis au Prytanée militaire de La Flèche ; dès 1970 vous êtes nommé assistant à l’Université de Bordeaux 3, maintenant Université Bordeaux Montaigne, dans la section d’allemand.
C’est dans cette université bordelaise, à l’exception de trois années passées à l’université de Poitiers à la fin de la décennie 80, que vous allez franchir toutes les étapes de votre carrière. En 1984 vous défendez votre thèse en Sorbonne sous la direction du professeur Pierre Grappin et vous êtes rapidement nommé professeur des universités en 1986.
Aux yeux de ceux qui vous connaissent vous êtes un modèle du métier de professeur d’université car vous avez su combiner avec élégance et efficacité les trois fonctions fondamentales d’enseignant, d’administrateur et de chercheur.
Rien de ce qui est universitaire ne vous est étranger.
Pendant plus de quarante années, sans vous lasser, vous avez partagé votre savoir avec des groupes d’étudiants qui se renouvellent année après année, de la licence au doctorat. Ce n’est pas un hasard si vous êtes membre puis président du jury d’agrégation d’allemand de 1990 à 1998 et que vous occupez la fonction de premier Vice-Président au sein du Conseil national des Universités dans la section des études germaniques, néerlandaises et scandinaves.
Ainsi vous veillez parallèlement, en pédagogue, à la qualité des enseignements et, en administrateur, à la qualité des enseignants recrutés dans l’enseignement supérieur.
Et ces responsabilités nationales n’excluent en rien des responsabilités locales puisque vous êtes élu en 1994 et pour une durée de cinq ans Vice-président du Conseil d’administration de l’Université Michel de Montaigne, fonction que vous avez remplie avec un savoir-faire reconnu.
Vous êtes un homme calme, affable, très ouvert, à l’écoute de vos étudiants, de vos collègues et du monde; vous pratiquez la modestie qui engendre beaucoup de paix autour de vous; vos qualités de diplomate sont appréciées car toujours accompagnées de l’humour raffiné d’un homme de grande culture. Personnellement j’ai toujours été très sensible à l’humour de mes collègues germanistes.
Ces aspects de votre personnalité vous valent l’estime de vos confrères en France et à l’étranger ; mais surtout vos travaux scientifiques entraînent le respect de vos contemporains et notamment dans un domaine de l’histoire des idées qui vous est cher, car vous y avez consacré une grande partie de l’énergie du chercheur que vous êtes : Le siècle des Lumières, le grand XVIIIe siècle de l’âge de raison. Nous y reviendrons.
Quelques-unes de vos fonctions liées à vos recherches scientifiques et à votre rayonnement intellectuel sont éloquentes en elles-mêmes; je citerai les principales :
– Président de la Société Française d’Etude du XVIIIè siècle (1997-2003)
– Président de la Société internationale d’Etude du XVIIIè siècle (2003-2007)
Et il n’est pas surprenant que vous occupiez, ou ayez occupé, une place remarquée au sein du conseil scientifique de plusieurs universités étrangères ou organismes de recherche :
vous êtes membre du Conseil Scientifique du Centre d’Etudes des Lumières de Potsdam (1998-2003) ; de l’Université Martin Luther de Halle en Allemagne, dans le land de Saxe-Anhalt; de la mission historique allemande à Göttingen ; de l’Institut français d’histoire de l’Allemagne à Francfort ; de la Maison des Sciences de l’Homme de Strasbourg ; et parmi vos différents titres figure celui de Docteur honoris causa de l’Université de Hambourg, université dans laquelle vous avez enseigné à plusieurs reprises en tant que professeur invité.
A Bordeaux vous avez joué et vous jouez encore un rôle très actif de directeur de recherche par votre direction d’équipes et projets scientifiques et aussi par la direction d’un nombre important de thèses de doctorat. Ainsi vous avez été le directeur de l’équipe d’accueil EA SPH (Sciences, Philosophie, Humanités), autrefois bien nommée CIBEL (Centre interdisciplinaire bordelais d’Etude des Lumières) ; vous êtes rédacteur en chef de la revue Lumières attachée à cette équipe.
Enfin vous avez codirigé ces dernières années avec toute une équipe de collègues français et allemands le projet GALLOCIVI (Gallotropisme et modèles civilisationnels dans l’espace germanophone du 18è siècle à nos jours). Ce projet a été financé par l’ANR (Agence nationale de la recherche) et par son homologue allemand, le DFG, (Office allemand pour la recherche). Vous en êtes le directeur pour la France aux côtés de votre collègue allemand, le Professeur Wolfgang Adam de l’Université de Halle, présent aujourd’hui à vos côtés dans cette salle, et que l’Académie est heureuse d’accueillir.
A cette impressionnante liste de responsabilités scientifiques nous ajouterons votre élection récente à la présidence de l’Académie Montesquieu de Bordeaux, jeune société savante qui fête cette année ses 75 ans d’existence, et dont le but affirmé est de diffuser la pensée et les valeurs humanistes du Baron de la Brède qui veille aussi sur cette Académie.
Si maintenant nous ouvrons vos livres et vos publications nombreuses (votre bibliographie personnelle compte près de 150 titres d’ouvrages ou articles) nous nous apercevons que si vous êtes ce qu’il est convenu d’appeler un littéraire, vous êtes aussi un historien, plus précisément un historien de l’Allemagne et des relations franco-allemandes. Votre goût pour la philosophie, et surtout la philosophie allemande, est aussi évident ; n’est-ce pas un penchant naturel chez les germanistes ? Surtout, on peut dire que toute votre carrière est marquée par la mission que vous vous êtes donnée : vous mettre au service des relations culturelles et scientifiques entre la France et l’Allemagne.
Vous déclarez vous-même que les études sur les rapports franco-allemands ont connu un grand renouveau dans les années 1980 ; en effet, plutôt que d’étudier de manière autonome les entités culturelles de chaque peuple, la notion de transferts culturels a été privilégiée afin de mettre en évidence les échanges constants entre notions, idées, esthétiques, courants de pensée philosophique, intérêts divers, communautés de préoccupations, Ainsi les cultures ne sont pas présentées en concurrence ou en opposition mais, au contraire, en interrelations, en complémentarité, en apports renouvelés, discutés et jamais figés. C’est pour cette raison que vous donnez de l’importance à ceux qui portent les idées : traducteurs, diplomates, écrivains, aristocrates européens, négociants, voyageurs, résidents transfrontaliers, dont les écrits, les expériences, les pratiques et habitudes constituent une lecture renouvelée et originale de l’histoire des cultures des deux côtés du Rhin.
C’est à partir de ces travaux que vous avez développé la notion de tropisme culturel, c’est-à-dire de l’attrait conscient ou inconscient qu’une culture exerce sur une autre
d’une manière changeante et non établie au cours des générations et des siècles.
Arrêtons-nous un instant sur ce mot gallotropisme dont vous pouvez revendiquer l’invention et qui est un thème privilégié dans vos recherches de germaniste. Ce mot gallotropisme illustre parfaitement votre implication dans le rôle de questionneur, de médiateur qui cherche à expliquer la complexité, la biodiversité, des relations entre nos deux pays au cours de l’histoire. Gallotropisme n’est ni gallophilie ni gallophobie (trop facile distinction binaire amour/ haine de la France !) qui représenteraient des approches simplifiées et caricaturales (clichés et idées reçues qui hélas perdurent) mais plutôt la volonté d’analyser les forces et les orientations diverses de ces relations culturelles qui oscillent entre admiration/sympathie et refus/rejet, sans jamais être tout l’un ou tout l’autre ou qui peuvent être tout l’un ou tout l’autre. C’est un concept qui invite à un éclairage nouveau, à l’ouverture, au respect de l’autre, à la compréhension du jeu des influences et des mutations sociales dans le champ très ouvert, objet de vos études, des trois derniers siècles, de Frédéric II à la République fédérale d’Allemagne en passant par la République de Weimar et le national socialisme.
A bien des égards, vous êtes un enfant de votre siècle, vous qui appartenez à la génération marquée par la volonté de de Gaulle et d’Adenauer de réconciliation entre la France et l’Allemagne ; et vous savez mieux que quiconque quelles formes peut prendre l’amitié ou l’inimitié entre nos peuples; ne pouvons-nous pas aujourd’hui particulièrement apprécier le chemin parcouru, au cours de ces dernières décennies , avec l’élection récente d’une Présidente allemande à la tête de l’Europe, Ursula von der Leyen ?
Un grand nombre de vos articles vont dans le sens de l’ouverture et de la dynamique de la conciliation grâce à une meilleure connaissance réciproque des deux peuples d’Allemagne et de France; ces articles sont publiés dans des ouvrages collectifs, ce qui souligne votre volonté de partager des savoirs, de valoriser des interprétations, de travailler au sein d’équipes de grande qualité. Beaucoup de ces écrits sont publiés dans des revues scientifiques internationales.
– Présence de l’Allemagne à Bordeaux, du siècle de Montaigne à la veille de la Seconde Guerre Mondiale (1997) ; un chapitre est consacré au poète Hölderlin à Bordeaux.
– L’Allemagne et la crise de la raison (Nicole Pelletier, Jean Mondot, Jean-MarieValentin)
Volume d’hommage à Gilbert Merlio (Bordeaux, PUB, 2001), germaniste, spécialiste de philosophie allemande, et professeur à l’Université Paris IV Sorbonne .
– Exil et immigration avant et après 1945, remise en cause du lien identitaire (2012)
– Les volumes du programme Gallocivi Gallotropisme –Les composantes d’un modèle civilisationnel et les formes des ses manifestations (2016)
Je pourrais citer encore de nombreux titres de vos contributions dont la seule évocation témoigne de votre intérêt pour de vraies questions politiques, idéologiques, sociologiques ; l’historien prend le pas sur le littéraire et souvent le politicologue, sinon le philosophe, se manifeste. Vous avez décidemment plusieurs cordes à votre arc, ou plumes à votre stylo!
- Un lecteur allemand de Montesquieu, Johann Gottfried von Herder, philosophe du XVIIIe siècle
- La notion de race en débat à la fin du XVIIIè siècle en Allemagne
- L’émancipation des Juifs en Allemagne de 1789 à 1815
- L’exil vu d’exil, le regard sur soi des réfugiés, chez Henrich Mann, Bert Brecht, Hannah Arendt
- Principe haine ; à propos et au delà d’une analyse du national socialisme par Henrich Mann (frère de Thomas Mann)
Enfin, je citerai deux travaux qui symboliquement encadrent votre carrière d’écrivain et de critique : un petit ouvrage de jeunesse pour… la jeunesse qui annonce parfaitement que vous vous mettez de bonne heure au service de l’amitié franco-allemande :
- Bon voyage en Allemagne, Hachette, 1976. Petit livre sympathique et astucieux, guide culturel qui prend ses jeunes lecteurs pour des gens intelligents,
et un article de maturité publié en 2016 aux Editions universitaires de l’Université d’Heidelberg :
– Un exemple de gallotropisme ; le Journal de voyage à travers la France de Sophie von La Roche, 1785 ; chronique détaillée d’une voyageuse allemande, femme lettrée qui tenait un salon littéraire au siècle des Lumières.
De la jeunesse à la maturité vous avez franchi à pas de géant en quarante années des temps et des espaces de haute volée intellectuelle et vous êtes devenu un spécialiste internationalement reconnu du XVIIIè, du grand siècle des Lumières. Votre nom et votre recherche sont indissociables des Lumières. Peut-on imaginer plus belle réputation ?
Pour clore cette présentation, consacrons quelques réflexions aux Temps des Lumières à travers vos publications sur le sujet.
En 1991 vous publiez un petit ouvrage qui représente un des fondements de ce grand mouvement littéraire et culturel qui se développe en Europe de 1715 à la Révolution française.
Il s’agit dune réflexion critique à partir d’un article célèbre publié par Immanuel Kant intitulé, Qu’est-ce que les Lumières ? Was ist Aufklärung ? Cet article de Kant est particulièrement intéressant car, publié en 1791, il offre un regard distancé sur cette période, une interprétation en quelque sorte, et une appréciation plus nuancée de ses aspects positifs et négatifs. Kant, par ce court écrit a entrainé des réactions de la part de ses contemporains et vous les rassemblez dans un corpus original de textes accompagnés de leur traduction en français.
L’article de Kant débute de manière tonitruante :
Les Lumières, c’est pour l’homme sortir d’une minorité qui n’est imputable qu’à lui.
La minorité, c’est l’incapacité de se servir de son entendement sans la tutelle d’un autre. C’est à lui seul qu’est imputable cette minorité, dès lors qu’elle ne procède pas du manque d’entendement, mais du manque de résolution et de courage nécessaires pour se servir de son entendement sans la tutelle d’autrui. Sapere aude ! Aie le courage de te servir de ton propre entendement ; telle est la devise des Lumières.
Cette invitation à oser savoir, oser comprendre le monde, est ferme et sans ambigüité ;
Vous écrivez : « Comment ne pas sentir l’énergie morale, le dynamisme intellectuel qui s’en dégagent ? C’est à la conscience claire de chacun… de franchir le pas pour acquérir l’autonomie intellectuelle, seule compatible avec la dignité de l’homme, avec sa destination originelle, sa vocation première. Franchir le pas, marcher sans aide ni lisières, seul et droit. Ces métaphores simples, immédiates confèrent une légitimité naturelle et donc irréfragable à l’exigence d’autonomie et de liberté ».
Et vous ajoutez : « Kant connaît parfaitement les freins sociaux, politiques et religieux qui ralentissent l’émancipation individuelle, empêchent la progression des Lumières, de la raison, de la liberté ».
C’est bien au nom de la liberté et de la raison que l’homme et la société à l’époque des Lumières cherchent à s’affranchir des formes d’oppression qui portent le nom de despotisme, d’intolérance, de droit divin, d’obscurantisme, de superstitions. Pour mener ce combat contre les ténèbres les philosophes, les intellectuels, les hommes de science, les artistes vont lutter pour que l’esprit scientifique s’impose et permette de développer la connaissance, que l’esprit critique se répande, que la tolérance apaise les esprits, et que, vœu suprême, la monarchie de droit divin disparaisse au profit d’une société démocratique.
Epoque extraordinairement féconde où la réflexion et les débats animent les esprits qui ne veulent plus croire en la providence, aux idées innées, à l’illumination divine. Des inventions marquent les esprits : l’horloge de marine, la montgolfière, le paratonnerre,
la vaccination appartiennent à l’âge des lumières. Epoque aussi de contradictions et de querelles ou d’excès de raisonnement. Quand l’anticléricalisme fleurit et que le déisme tend à remplacer une religion révélée, quand l’esclavage cohabite avec le désir d’indépendance des colonies. Quand on croit à des illusions peu raisonnables comme l’universalité d’une langue, la langue française bien entendu, ou la République des lettres, état démocratique qui transcende les territoires et où seul le savoir, et non la naissance, place chaque citoyen à son rang.
Tout ceci, vous le dites et l’analysez avec une grande maîtrise, parce que votre connaissance de cette période est suffisamment étendue pour tout mettre en perspective ; la tâche réussie n’était pas facile au départ lorsque l’on saisit le véritable séisme idéologique, le bouleversement, que représentent des mots chargés de nouveaux sens: libéralisme, progrès scientifique, inventions, cosmopolitisme, démocratie, xénophobie, rationalisme critique.
Pour saisir dans leur réalité ces facettes lumineuses ou parfois opaques du siècle de la raison vous invitez à votre table de travail un personnage pittoresque et riche en couleurs : Wilhelm Ludwig Wekhrlin (1739-1792), journaliste ou comme l’on disait alors publiciste ; vous passerez plusieurs années en sa compagnie puisqu’il est le héros, sujet de votre thèse. C’est fondamentalement un homme de terrain qui aime les idées des Lumières, cherche à les répandre et surtout à les discuter, à les critiquer. Grâce à lui il est possible de mesurer la vitalité des idées répandues, leur adoption ou leur mise en question. Il aime les gazettes, les nouvelles, les mémoires secrets, il est à l’écoute du monde de son temps. Et c’est surtout un temps où l’on a le souci de la circulation des idées, de leur propagation grâce à la création de journaux, de revues, de clubs, de salons littéraires et mondains, de sociétés savantes, d’académies dans les grandes villes d’Europe pour diffuser science et connaissance et partager la lumière.
Notre propre académie royale des sciences, belles-lettres et arts de Bordeaux n’a-t-elle pas été fondée en 1712, à l’orée du siècle des Lumières, pour servir les Lumières? Sa devise Crescam et Lucebo (Je croîtrai et je luirai) n’est-elle pas porteuse de lumière, de ces Lumières qui sont notre espérance.
Si l’on en juge par vos écrits, Monsieur le Professeur, votre salon littéraire est très bien fréquenté ; sa dimension cosmopolite permet de rassembler des invités de marque, des citoyens d’Europe, sinon du monde, des esprits éclairés. Philosophes allemands, anglais, français se côtoient et contribuent au débats d’idées : Kant, Lichtenberg, Schiller, Herder, Locke, Hume et bien entendu Montesquieu, Diderot, Voltaire et combien d’autres maîtres à penser toujours prêts à vous inspirer de nouvelles analyses et synthèses.
Vous avez montré comment les Lumières sans s’éteindre complètement ont perdu de leur éclat ou se sont dissipées ; à la fin du XVIIIè siècle, des dramaturges comme Lessing, des poètes comme Goethe, ont rappelé en Allemagne que l’homme était aussi fait de sentiments, de sensations et d’intuitions. Déjà naissait la révolution romantique du Sturm und Drang, de la tempête et de la passion, où la raison allait s’incliner devant la sensibilité.
Le philosophe et physicien Georg Christoph Lichtenberg ne déclara-t-il pas à la fin du XVIIIe siècle en parlant de l’Aufklärung : « A force de raisonnement il m’a fait perdre la raison ». « Mais, mon Dieu, à quoi servent toutes ces lumières si les gens ou bien n’ont pas d’yeux ou bien ferment intentionnellement ceux qu’ils ont ? ». Il est vrai que Lichtenberg, auquel vous avez consacré un livre, pratiquait volontiers les aphorismes pour dénoncer les esprits dangereux embrouillés de brouillard ou de brume et qui refusaient de voir la révolution des Lumières. N’a-t-il pas écrit : « A condition que le soleil se lève, les brumes ne causent pas de dégâts » ? Ah ! Cette image du soleil levant qui témoigne de la fidélité de Lichtenberg à la notion des Lumières et de son optimisme jusqu’à sa mort en 1799 nous ramène au Crescam et lucebo qui orne nos insignes.
Nous sommes en territoires connus.
Mais au delà des critiques parfois vives que reçoit encore de nos jours le siècle de la raison, les Lumières ne sont jamais mortes ; c’est votre philosophie d’homme optimiste et fidèle à ses convictions comme Lichtenberg ; l’intelligence de l’homme sera toujours la plus forte pour combattre l’oppression et l’intolérance afin que les individus et les peuples conservent leur liberté. Ce combat est d’actualité.
N’est-ce pas ce que veut nous signifier l’exposition actuellement présentée à la Galerie des Beaux-Arts de Bordeaux intitulée : La passion de la liberté, des lumières au romantisme. L’héritage des lumières, ses idéaux de progrès et d’esprit libre, ne sont-ils pas présents, à la fois précieux et fragiles, dans la vie de nos démocraties aujourd’hui?
Madame la Présidente, les qualités du Professeur Jean Mondot que j’ai présentées rapidement sont telles qu’il est clair que notre compagnie ne s’est pas trompée lors de son élection au fauteuil du Professeur Christian Huetz de Lemps. Jean Mondot, à tous égards, est digne de rejoindre l’Académie Nationale des Sciences, Belles-Lettres et Arts de Bordeaux qui reconnaitra en lui un héritier de la pensée qui a présidé à sa fondation ; nul doute que Jean Mondot saura nous rappeler pour nous stimuler, si cela était nécessaire, le temps où des esprits éclairés recherchaient toujours plus de clarté ; ils recherchaient Les Lumières.
Je vous remercie de votre attention.