Le 10 octobre 2009, la ville d’Arcachon, la délégation régionale Aquitaine du Souvenir Napoléonien présidée par M. Louis Bergès, et la Société Historique et Archéologique d’Arcachon et du Pays de Buch se sont associées pour commémorer le 150e anniversaire du premier déplacement sur les rives du Bassin d’Arcachon d’un chef d’état français, en l’occurrence l’empereur Napoléon III, qui réserva sa première visite à la toute nouvelle commune d’Arcachon.
Cette commémoration, en rappelant une date majeure de l’histoire de la station balnéaire a permis de dépoussiérer le passé arcachonnais, c’est-à-dire de le débarrasser de quelques-unes de ses encombrantes légendes et, peut-être, d’aider à voir d’un autre œil Napoléon III, « le mal aimé ».
I. POURQUOI NAPOLéON III EST-IL VENU A ARCACHON ?
La lecture attentive des archives nous apprend que la visite impériale de 1859 fut l’aboutissement d’une série de démarches locales, entamées sept ans auparavant, dès le mois d’août 1852.
A peine nommé maire de La Teste-de-Buch (30 juillet), le Lot-et-garonnais et bonapartiste Alphonse Lamarque de Plaisance, proche d’Eugène Haussmann, se préoccupa d’assurer l’avenir maritime et économique du Bassin d’Arcachon, en mettant en avant bien évidemment sa commune. Trois semaines après son installation dans le fauteuil de premier magistrat, il fit voter par son conseil, le 21 août 1852, une adresse au Prince-Président « pour le supplier de vouloir bien, pendant son prochain voyage à Bordeaux, honorer sa commune de sa visite ».
Lamarque de Plaisance se proposait de montrer à Louis-Napoléon Bonaparte « la nouvelle Sologne » que constituaient désormais les landes entre Bordeaux et le Bassin, « la ville naissante qui s’élevait auprès d’une chapelle antique et vénérée et qui marchait à pas de géant dans la voie du progrès » – ce sera bientôt la commune d’Arcachon –, enfin « un port en construction appelé à imprimer à notre commerce une impulsion nouvelle » – il s’agissait du port de La Teste réaménagé et agrandi sur les plans de l’ingénieur Alphand adoptés le 10 août 1850 et approuvés par le ministre Pierre Magne en janvier 1852.
D’après certains auteurs, le préfet de la Gironde, Haussmann, n’aurait pas transmis cette invitation à Paris parce que les Testerins avaient un conseiller général farouchement républicain – le notaire et ancien maire Jean Dumora jeune.
Le 7 octobre 1852, Lamarque de Plaisance dut se résoudre à faire le voyage jusqu’à Bordeaux, en train, accompagné de son conseil (presque au grand complet), de fonctionnaires publics en poste à La Teste, d’une délégation de 24 ou 25 jeunes Testerines et de 18 Landais « sur de grandes échasses » ; cette forte députation participa à l’accueil du futur Napoléon III, en début d’après-midi, au bas de la place des Quinconces, avant d’adresser à l’hôte illustre, par la voix d’une gracieuse demoiselle, l’hommage des Testerins.
Dans les années qui suivirent – de 1853 à 1856 -, Lamarque, souvent déçu dans ses espérances, ne se contenta pas d’accueillir Pierre Magne, alors ministre des Travaux publics et le maréchal de Saint-Arnaud, ministre de la Guerre.
Le 29 juin 1854, il repartit à la charge ; informé du « passage prochain » de l’empereur et « de sa Majesté l’impératrice dans le département de la Gironde », il fit voter une nouvelle adresse et une provision de 1.200 francs pour les frais de réception. En vain. En voyage « incognito », LL. MM. ne s’arrêtèrent à Bordeaux le 19 juillet « que pour y passer la nuit » à l’Hôtel de la Préfecture. Deux ans plus tard, le maire de La Teste crut son heure arrivée… Il n’en fut rien. Le 2 octobre 1856, le couple impérial, de retour de Biarritz, ne fit qu’un bref arrêt à Bordeaux.
Nommé maire d’Arcachon le 23 mai 1857, à peine installé à la tête de la première municipalité arcachonnaise élue le 7 juin 1857, Lamarque de Plaisance faisait voter, le 12 juillet 1857, l’adresse suivante à Sa Majesté l’Empereur pour le prier d’honorer de sa visite la commune nouvellement créée par décret impérial du 2 mai 1857 :
« Sire,
Votre Majesté a été sur le point d’accorder, l’an dernier, un bien grand honneur à ses fidèles sujets des bords du Bassin d’Arcachon. Vous avez daigné, en effet, faire savoir le 30 septembre, au maire de La Teste que, jusques au moment de quitter Biarritz, vous aviez pensé pouvoir visiter nos contrées et l’endroit destiné à devenir un port de refuge.
Puissions-nous, Sire, être assez heureux pour voir se réaliser, cette année, votre bienveillante attention à l’égard d’un pays qui vous doit déjà tant et pour lequel vous méditez encore des projets aussi vastes que féconds.
Représentants de la cité nouvelle, élevée sous votre règne, et que vous avez daigné faire entrer récemment dans la grande famille des communes de l’Empire, nous avons l’honneur de vous en adresser l’humble prière et d’assurer à votre Majesté qu’elle ne visitera jamais de populations plus reconnaissantes de cet éminent bienfait, et plus dévouées à nos institutions et à votre auguste personne.»
Une fois de plus, les espoirs du maire furent déçus. Toutefois, Lamarque de Plaisance fut autorisé à venir présenter son conseil à l’Empereur, le 23 août 1857, à Labouheyre; Napoléon III y faisait halte tout à la préparation de son domaine impérial, aujourd’hui connu sous le nom de « Solferino ».
N’ayant pas obtenu totalement satisfaction, les élus arcachonnais récidivaient le 30 juillet 1858 :
« Sire,
Les membres du Conseil municipal d’Arcachon auxquels votre Majesté accorda l’an dernier, à Labouheyre, l’insigne honneur de les admettre à lui présenter l’hommage de leur respect et l’expression de leur vœu le plus cher, ont rapporté à leurs concitoyens l’heureuse espérance qu’elle voulut bien leur donner de visiter prochainement la ville nouvelle élevée sous son règne et l’endroit destiné à devenir un port de refuge.
Maintenant que les projets définitifs des importants travaux à exécuter pour faire du bassin d’Arcachon l’un des plus beaux ports d’Europe sont terminés, nous venons, interprètes des sentimens unanimes du pays, vous supplier de daigner réaliser cette année vos bienveillantes attentions.
Après les splendeurs des fêtes de Cherbourg où les deux grandes nations du monde vont confondre leurs sympathiques acclamations, que pourrions-nous offrir de plus doux au cœur paternel de Votre Majesté qu’une reconnaissance sans bornes et une fidélité à toute épreuve. Nous la conjurerons alors comme aujourd’hui d’en agréer le sincère et respectueux hommage… ».
Mais 1858 fut l’année de la Bretagne et non de l’Aquitaine. Une troisième adresse fut votée le 29 juillet 1859 :
« Sire,
Le moment approche où Votre Majesté, accompagnée de notre auguste et bien aimée souveraine est dans l’usage d’aller prendre, sur une plage voisine, quelques jours de repos que les fatigues d’une immortelle campagne viennent de rendre plus nécessaire encore cette année.
Les membres du conseil municipal de la jeune cité d’Arcachon, saisissent avec un respectueux empressement cette occasion pour déposer à nouveau à vos pieds les vœux ardents que forment vos fidèles sujets de nos contrées maritimes d’être honorés de votre visite.
Déjà, l’espérance que vous avez daigné laisser concevoir par la lettre écrite sur vos ordres le 30 septembre 1856 à M. le Maire de La Teste, et que vous avez bien voulu renouveler à Labouheyre aux conseils municipaux de La Teste et d’Arcachon, a fait tressaillir nos cœurs de joie : sa réalisation sera pour nous le comble du bonheur.
Lorsque votre Majesté voyagera sur le chemin de fer de Bayonne, un trajet de quinze minutes la séparera de la ville nouvelle élevée sous votre règne et du magnifique bassin d’Arcachon sur lequel elle a daigné fixer son attention.
Venez, Sire, nous vous en conjurons, venez visiter cette plage déserte il y a dix ans à peine et aujourd’hui, grâce à vous, peuplée de plusieurs milliers d’étrangers ; venez jeter un regard sur l’emplacement de ce port aussi précieux en temps de paix qu’en temps de guerre, indiqué par Vauban, projeté par Napoléon 1er et dont la France va devoir la réalisation à Votre Majesté.
Nous connaissons nos populations, Sire, nous pouvons assurer à Votre Majesté que leur dévouement, leur fidélité et leur reconnaissance sont à la hauteur de vos bienfaits.
Nous avons l’honneur d’être, Sire, avec le plus profond respect, de votre Majesté les très humbles, très obéissants et très fidèles sujets… ».
Un mois plus tard, peut-être pour mettre tous les atouts de leur côté, les élus rédigeaient une nouvelle adresse qui peut paraître un peu tardive, au sujet de la campagne d’Italie qui s’était achevée par l’armistice de Villafranca le 12 juillet.
« Sire,
Le Conseil municipal d’Arcachon unit sa voix à celle de la France entière pour offrir à Votre Majesté l’hommage de sa vive admiration pour le généreux secours qu’elle a prêté à un peuple voisin et ami, injustement attaqué, pour les glorieuses victoires qu’elle a remportées à la tête de son héroïque armée, et la paix plus glorieuse encore qui en a été le fruit.
Ces sentiments sont ceux de la population entière que nous avons l’honneur de représenter. Nous venons humblement les déposer aux pieds du Trône de votre Majesté et la prier de daigner en agréer la respectueuse expression… ».
Cette troisième adresse arcachonnaise de 1859 allait être la bonne. Le 2 octobre, le secrétaire de l’Empereur et chef de son cabinet, Jean-François Mocquard, écrivait à Lamarque de Plaisance :
« Monsieur le Maire,
Je m’empresse de vous informer que le 10 octobre courant, leurs Majestés, parties à 10 heures de Bayonne, comptent se rendre par Lamothe à Arcachon, vers une heure et demie et qu’elles y séjourneront jusques à cinq heures.
Je suis heureux, Monsieur le Maire, d’avoir à vous annoncer cette nouvelle qui répond si bien au désir de la population dont vous êtes l’honorable interprète… ».
Informé parallèlement, le Préfet de la Gironde, par dépêche télégraphique expédiée le 4 octobre, convoquait « immédiatement » à Bordeaux le premier magistrat d’Arcachon, pour mettre au point le programme des trois heures et demie que devait durer la visite. S’ensuivit une effervescence bien compréhensible chez les élus et au sein des administrations concernées, effervescence qui fut pourtant refroidie le 8 octobre, à Arcachon notamment, à la réception d’une nouvelle dépêche télégraphique matinale de la Préfecture :
« Je reçois de l’aide de camp de l’Empereur une dépêche contenant des instructions auxquelles il faut se conformer strictement. Elle est ainsi conçue : l’Empereur ne veut pas de réception officielle à Arcachon, surtout pas de cérémonie à la Chapelle ».
Les archives qui nous sont parvenues permettent d’avancer que l’Empereur n’avait, officiellement, qu’un seul objectif en faisant un détour sur Arcachon, sur son chemin du retour qui le conduisait de Biarritz à Paris, via Bordeaux : il souhaitait se rendre compte par lui-même des possibilités d’aménagement d’un port de refuge sur le bassin d’Arcachon, dont l’amélioration des passes était à l’étude… depuis au moins deux siècles !
Pour ce faire, le préfet de Mentque, en dépit du télégramme de l’aide de camp de l’Empereur, laissa les autorités maritimes donner libre cours à leur imagination.
Le 6 octobre, le Commissaire général de la Marine impériale en fonctions à Bordeaux, Paul Pageot des Noutières, pouvait ainsi informer le maire « que l’aviso à vapeur l’Australie se rend à Arcachon pour s’y tenir à la disposition de L.L. M.M. et concourir à l’éclat de la fête qu’[il] prépare pour leur réception. » Et de poursuivre : « Je fais disposer un canot avec l’armement du canot impérial du port de Rochefort, afin que L.L. M.M. puissent visiter le bassin en choisissant le mode de transport qui leur paraîtra préférable.
« J’ai donné des ordres pour que la population maritime soit réunie à Arcachon le lundi, à 8 heures du matin, et je compte me rendre moi-même dans votre commune le dimanche 9 octobre, afin d’assister avec vous à la réception de L.L. M.M. à la gare du chemin de fer… ».
Effectivement, le même jour, le commissaire de l’Inscription maritime de La Teste, Filleau, dressait pour Lamarque de Plaisance le plan de bataille de la marine locale.
« Monsieur le Maire,
J’ai l’honneur de vous informer que des ordres sont donnés dans tous les syndicats du quartier de La Teste, pour que le personnel maritime actuellement disponible soit réuni lundi prochain à Arcachon, avant 9 heures du matin.
Tous nos marins, y compris les femmes, qui s’adonnent à la pêche ou nagent dans des embarcations, devront se trouver au point de rendez-vous avec tous les caboteurs, chaloupes, tilloles, etc., qui composent la partie matérielle de nos ressources maritimes.
Chaque embarcation sera munie d’une hampe et j’ai fait savoir que votre intention était de prêter à tout bateau quelconque le pavillon tricolore dont il sera armé.
J’aime à espérer que cet ensemble de marins et d’embarcations formera un intéressant coup d’œil capable d’attirer l’attention de Leurs Majestés.
Il existera, je pense, quelques points de détail qu’il conviendra de régler entre nous, si vous pouvez m’assigner un jour où nous puissions en conférer.
Les syndics des gens de mer se trouveront dans tous les cas lundi de bonne heure sur la plage d’Arcachon afin de déterminer la place des embarcations avec l’assistance du maître de port.
Si Leurs Majestés ne devaient pas paraître sur les bords du bassin aussitôt qu’elles seront descendues de leur wagon peut-être conviendrait-il que les marins fussent réunis dans la gare à l’arrivée du train impérial. Du reste, nous examinerons ce point entre nous, lors de notre entrevue.
Veuillez agréer, Monsieur le Maire, l’assurance de ma haute considération… ».
En post-scriptum, le commissaire de la marine indiquait que « la compagnie du chemin de fer du midi lui avait fait savoir que son intention était d’envoyer deux bâtiments à vapeur à Arcachon pour y être mis à la disposition de l’Empereur ». Il confirmait que de son côté le Commissaire général l’avait informé que l’aviso à vapeur l’Australie allait arriver à Arcachon.
A la suite de la réunion du 4 octobre, à la Préfecture, chacun des acteurs de la scène girondine apporta sa touche à l’établissement du programme : il fallait en effet assurer la sécurité du couple impérial, du jeune prince et de leur suite, décorer Arcachon, ses rues, les villas et les bâtiments publics, préparer et organiser l’accueil et le transport de toutes les personnalités présentes, subvenir aux besoins des hommes et des bêtes. Ce ne fut pas sans mal, notamment pour la mise au point du déroulement de la visite, tant les ordres furent contradictoires. En effet, le jour même où le préfet communiquait les consignes de l’aide de camp de l’empereur, moins d’un quart d’heure plus tard, à 7 heures 10 du matin, Lamarque de Plaisance recevait une dépêche télégraphique qu’émile Pereire lui avait expédiée de Morcenx, lui enjoignant de mettre un nouveau bémol dans le programme impérial tout en contredisant les ordres précédents : « L’Empereur n’accepte pas la promenade à cheval et désire que la cérémonie à la chapelle soit courte » !
Quelques heures plus tard, le maire d’Arcachon, croyant avoir toutes les cartes en mains, faisait parvenir au préfet « le programme projeté » pour « le faire publier dans la presse » ! Patatras ! Par une nouvelle dépêche télégraphique, le 9 octobre en fin de matinée, M. de Mentque devait confirmer les ordres impériaux initiaux qui privaient Arcachon de deux personnalités éminentes mais dépitées :
« Sur le vu de la dépêche télégraphique de Biarritz dont je vous ai donné connaissance hier, le cardinal et le maréchal Niel ont décidé qu’ils ne viendront pas à Arcachon. J’irai seul avec l’ingénieur en chef à cause des travaux du bassin. Rappelez-vous la dépêche de l’Empereur. Ne veut pas de réception officielle à Arcachon, surtout pas de cérémonie à la Chapelle. En conséquence, rien d’officiel mais un aspect de fête sur tous les points et l’enthousiasme du cœur… ».
Les interférences entre la préfecture et la Compagnie du Midi ne furent pas le seul souci de Lamarque de Plaisance. La jeune station balnéaire d’Arcachon avait un conseil municipal en grande partie composé de Bordelais, qui ne résidaient pas sur place, et le maire tenait à être bien entouré. Fort heureusement, tous les élus firent preuve de beaucoup de bonne volonté !
Le 5 octobre, le conseiller et poète Jean-Baptiste Couve rassurait Lamarque de Plaisance sur sa présence à Arcachon le 10 octobre :
« Mon Cher Maire,
« J’ai reçu les deux lettres de convocation que vous m’avez fait l’honneur de m’adresser et j’ai reculé mon voyage dans le midi pour ne pas vous contrarier en ne me trouvant pas à la réception de l’Empereur.
J’aurai donc le plaisir d’être à Arcachon dimanche par le dernier train et je me mets dès ce moment à vos ordres […] où vous voudrez bien m’écrire un mot au n° 205 pour les rendez-vous obligatoires.
Je ne puis aller auparavant à Arcachon. Veuillez m’excuser. Il va sans dire que je donne mon entière approbation à tout ce que dans votre sagesse et dans votre prévoyante intelligence, vous allez préparer pour la réception.
Agréez, mon cher Maire, mes bien sincères et affectueuses salutations. ».
Le 7 octobre, le négociant Pierre Célerier fit de même :
« A mon retour de Luchon, hier soir, votre lettre de convocation m’a été remise et j’ai éprouvé le regret de ne pouvoir y satisfaire.
Me proposant de me rendre dimanche prochain à Arcachon, je me mets à votre disposition si je puis vous être utile en quoi que ce soit.
Je vous renouvelle, Monsieur, l’assurance de mon dévouement et mes salutations affectueuses… ».
Auparavant, dans la journée du 6 octobre, le maire d’Arcachon avait pris connaissance d’un courrier d’un autre conseiller municipal, l’ancien avoué qui se piquait de vouloir repeupler le bassin en huîtres, Jean-Baptiste Durand ; celui-ci se permettait de glisser une suggestion pour le programme du 10 octobre :
« Monsieur le Maire,
Malgré tout le désir que j’en ai, je ne puis me rendre à la réunion du conseil d’aujourd’hui. Je suis retenu chez moi pour cause de santé. Je vous prie d’agréer et de faire agréer mes excuses au Conseil.
Je suppose que dans la séance d’aujourd’hui on reconnaîtra la nécessité que les membres se réunissent lundi prochain pour, en corps, vous, Monsieur le Maire à notre tête, nous nous rendions ensemble à la gare attendre LL. MM. isolément, cela produirait un mauvais effet, à l’avance il conviendrait d’arrêter des voitures pour nous porter et nous ramener.
C’est sûrement le parti que vous avez déjà arrêté, Monsieur le Maire, je vous en parle néanmoins malgré la certitude que mon avis est surabondant… ».
Quant à Nathaniel Johnston, sa stature de grand négociant bordelais et son statut de conseiller général de la Gironde lui donnèrent l’occasion de prendre en charge la partie équestre de la visite, même si l’écuyer de S. M. l’Impératrice traitait directement avec Lamarque de Plaisance.
Si l’on tient compte de leur nombre, les dépêches conservées dans les dépôts d’archives prouveraient toutefois que les questions de sécurité furent celles qui furent les plus longues à résoudre.
Le 7 octobre 1859, le chef d’escadron commandant la gendarmerie impériale dressait pour le préfet l’état des brigades réquisitionnées pour assurer la sécurité de l’Empereur dans le périmètre Lamothe-Arcachon :
« … Le poste provisoire d’Arcachon, autorisé par M. le Ministre de la Guerre, du 1er juillet au 1er octobre a été en effet retiré le 1er octobre, les gendarmes détachés ne pouvant plus toucher l’indemnité de service extraordinaire après cette date du 1er octobre.
Mais j’ai l’honneur de vous informer qu’en sortant de votre cabinet le 4 courant, j’ai donné des instructions dans le sens du désir manifesté par M. le Maire d’Arcachon.
La brigade à pied de La Teste se rendra à Arcachon lundi 10, plus la brigade à cheval de Biganos en grande tenue à cheval y arrivera dans la matinée du 10.
M. le général de division en est prévenu.
Il sera utile que M. le Maire d’Arcachon veuille bien faciliter le placement de cinq chevaux de la brigade de Biganos ; le brigadier à son arrivée se présentera devant ce magistrat…
P.S. Trois gendarmes de Pessac se rendront à la gare de Lamothe pour le 10 courant. ».
Le préfet de la Gironde et le maire d’Arcachon durent trouver ce dispositif un peu léger. Lamarque de Plaisance s’adressa donc à l’inspection des douanes de La Teste, que dirigeait alors le divisionnaire Jules Pontallié, tandis que M. de Mentque se tournait directement vers le général de Tartas.
Le 9 octobre, le général de division télégraphiait au préfet et écrivait au maire d’Arcachon en des termes identiques :
« Je mets à votre disposition deux nouvelles brigades de gendarmerie pour le service d’Arcachon ; elles sont à vos ordres et partent aujourd’hui pour destination ».
Au même moment, l’inspecteur Pontallié, autorisé par sa hiérarchie bordelaise à regrouper à Arcachon toutes les brigades de sa division qui couvrait le Pays de Buch et une grande partie du Médoc, se trouvait à la tête de près de 80 hommes ; répartis en deux sections les gabelous pourraient assurer le service d’ordre autour de la gare et de la villa où descendrait l’empereur. Il en informa tout aussitôt Lamarque de Plaisance :
« Monsieur le Maire, j’ai l’honneur de vous remettre ci-joint une copie des consignes qui seront données, demain 10 octobre, conformément à vos indications, aux brigades des Douanes, dont vous avez réclamé le concours. Je me rendrai demain à l’invitation que vous m’avez adressée et je m’entendrai avec vous, si vous jugez utile d’y apporter quelques modifications… ». Jules Pontallié ne se doutait pas que l’avenir allait lui donner raison.
Après la sécurité, les guirlandes, les pavoisements, les flonflons, le cérémonial. Le 5 octobre, le conservateur des Forêts de la Gironde avait donné, semble-t-il, l’autorisation d’effectuer « la prise de jeunes pins d’éclaircie pour le passage de leurs Majestés ».
Un orphéon avait créé par le curé de Notre-Dame, le 20 avril 1859, mais il n’était pas en mesure de chanter en chœur quoi que ce soit, à la gare ou ailleurs. Il avait fallu faire appel à des formations bordelaises. En attendant de connaître leurs noms, Lamarque avait négocié leur transport avec la Compagnie du Midi.
C’est ainsi que le 7 octobre, l’inspecteur principal du Service commercial de la Compagnie du Midi avait informé Lamarque de Plaisance « que le transport gratuit est accordé par la Compagnie pour deux orphéons musical et instrumental.
« Je vous prie – poursuivait-il – de me faire connaître par le premier train le nom de ces sociétés ainsi que le nombre des membres qui les composent.
Ces renseignements me sont indispensables pour l’application de la faveur qui vous est accordée… ».
Lamarque de Plaisance fut informé le lendemain 8 octobre que 49 chanteurs (34 hommes et 15 enfants) de l’orphéon de La Bastide et 40 instrumentistes de la fanfare de Bordeaux feraient le déplacement à Arcachon.
II. LA VISITE DU 10 OCTOBRE 1859
Les acteurs
Après quelques jours de vacances à Biarritz, remontant de Bayonne vers Paris, avec un arrêt officiel et solennel prévu à Bordeaux, le couple impérial avait décidé de visiter ensemble le bassin d’Arcachon et emmenait avec lui le Prince impérial, alors âgé de trois ans et demi, si bien que le docteur Barthez et la sous-gouvernante, Mme de Brancion, furent du voyage jusqu’à Arcachon.
L’empereur, pour sa part, était accompagné de son aide de camp – le général Edmond-Eugène de Toulongeon, de son chambellan le comte de Riencourt et de son officier d’ordonnance le marquis de Cadore ; quant à l’impératrice, elle avait auprès d’elle son chambellan Charles-Joseph Tascher de la Pagerie, son écuyer – le marquis de Lagrange et deux dames du palais – les comtesses de La Poëze et de La Bédoyère.
Dans le train impérial, la Compagnie du Midi avait délégué trois de ses plus éminents représentants qui avaient vraisemblablement pris place à Bayonne, s’ils n’étaient montés lors d’un arrêt technique dans une gare des Landes : le président émile Pereire, l’administrateur Bertin – de son vrai nom Etienne Oustau – et l’ingénieur en chef et directeur de la Compagnie Alexandre Charles Surell.
Lorsque le train, venant de Bayonne, s’arrêta en gare de Lamothe à 13 heures, « au milieu d’une bourrasque épouvantable », les augustes voyageurs furent salués et rejoints par une forte délégation bordelaise :
– le préfet de la Gironde, M. de Mentque, accompagné de son chef de cabinet Adolphe de Briolle,
– trois députés de la Gironde : le baron Victor Travot – un habitué d’Arcachon, Lucien Arman et le baron Jérôme David,
– l’ingénieur en chef des Ponts et Chaussées, en charge du service hydraulique de la Gironde et des Landes Charles-Auguste-Isidore Droeling,
– le maire de Libourne Hippolyte Danglade, le maire du Puch Dussaut et le conseiller général Eugène Lacaze,
– le conseiller à la Cour des Comptes, François Michel Armand de Chabrier Péloubet,
– et le journaliste Charles Louis Livet, du Moniteur Universel.
Le train impérial entra en gare d’Arcachon à 13 heures 45 ; l’édifice – qui n’était alors que l’ancienne gare d’Agen – avait « reçu une décoration splendide ; un magnifique dais pourpre et or conduisait à un très beau salon orné de fleurs ».
A la descente du train, le couple impérial et les personnalités bordelaises furent accueillies non seulement par les vivats de la population qu’une section de douaniers tentait de maintenir à distance et que des échassiers dominaient de leur haute taille, mais avant tout par les autorités locales qui leur furent présentées après qu’une jeune fille eut offert à l’impératrice un bouquet de fleurs et qu’un garçonnet eut fait don au Prince impérial d’un jouet, en la circonstance « un vaisseau » ; le comité d’accueil « arcachonnais » était ainsi composé :
– le maire Alphonse Lamarque de Plaisance entouré de son conseil municipal (presque) au grand complet, dont le conseiller général Nathaniel Johnston,
– le maire de La Teste-de-Buch, son ami le docteur Gustave Hameau dont la présence n’avait pas fait que des heureux dans sa commune,
– le juge de paix de La Teste Edouard Méran,
– le commissaire général de la Marine Paul Pageot des Noutières,
– des officiers des deux navires de l’Etat en station dans le bassin d’Arcachon – les avisos à vapeur Australie et Le Chamois,
– les fonctionnaires du canton, parmi lesquels l’inspecteur des douanes Pontallié et le commissaire de l’inscription maritime du quartier de La Teste Filleau,
– du député de l’Yonne et par ailleurs encore conseiller général du canton d’Audenge Léopold Javal, sans oublier un membre de l’Institut, Victor Coste présentement à Arcachon.
Protocole oblige, étaient venues à la gare saluer et accueillir Sa Majesté l’Impératrice :
– la maréchale de Saint-Arnaud que son veuvage avait transformée en Arcachonnaise,
– et la générale de Tartas, dont l’époux commandant la division de Bordeaux avait télégraphié de Biarritz, à 8 heures du matin, qu’il était « dans l’impossibilité de se rendre à Arcachon ».
Le déroulement (un peu improvisé) de la visite
Bien que la visite ne fût pas officielle, elle ne pouvait pas ne pas commencer par un discours ; un discours qu’avait soigneusement préparé Lamarque de Plaisance qui se posa comme l’interprète du conseil municipal arcachonnais mais aussi des municipalités des cantons de La Teste et d’Audenge.
En quelques minutes, le maire énonça la devise qu’il avait choisie pour sa commune tout en exposant d’une part les bienfaits qu’Arcachon devait à la Nature (son air pour les malades, sa plage pour les enfants) et à l’empereur (le bien-être général), d’autre part les perspectives brillantes qui s’annonçaient :
– avec la future Ville d’Hiver – ce qui valut aux médecins présents et à émile Pereire d’être mis à l’honneur,
– et le futur port de refuge auquel avaient déjà pensé Vauban et Napoléon 1er et que Sa Majesté allait, c’était une évidence, réaliser.
Si toutes ces belles paroles parurent ravir le souverain, elles n’eurent pas pour effet d’arrêter la tempête qui continuait ; un programme de substitution avait vraisemblablement été mis au point durant le trajet Lamothe-Arcachon, sinon il fallut l’improviser illico. Il n’était en effet pas question de gagner la jetée d’Eyrac, par l’avenue du Château, pour embarquer soit sur l’Australie, soit sur le Chamois pour la promenade sur le Bassin qui devait permettre à l’ingénieur Droeling d’exposer in situ les projets du futur grand port de guerre d’Arcachon. Le temps ne s’y prêtait pas.
Les quelque six à sept cents embarcations, toutes pavoisées, qui s’étaient réunies sur le bassin pour faire escorte au convoi impérial n’avaient plus qu’à rentrer dans leurs ports d’attache. C’est ainsi que, contrairement à son vœu initial, l’empereur consentit à se rendre avec l’impératrice à la Chapelle des Marins, tandis que le Prince Impérial était conduit chez la maréchale de Saint-Arnaud, dans la villa qui porte aujourd’hui le nom : L’Alma. Leurs Majestés montèrent alors dans une voiture fermée attelée de quatre chevaux blancs qui, précédée de piqueurs et de gendarmes en grande tenue, se dirigea vers le cours Saint-Anne, aux détonations de salves d’artillerie, relayées par les canons de l’Australie et du Chamois.
Pendant que le cortège officiel se formait, les échassiers landais remontèrent sur leurs échasses et exécutèrent avec leurs compagnes en jupe de laine rouge et robe noire « des danses bizarres au son du fifre pastoral ». Intercalés entre le carrosse impérial et les voitures des personnalités, les marins de la Société de secours mutuels de Notre-Dame d’Arcachon, bannière toute ruisselante de pluie en tête, se dirigèrent au pas de course vers leur Chapelle. La population enthousiaste ralentissait la remontée vers l’allée de la Chapelle ; les douaniers débordés ne purent empêcher les bousculades ; fort heureusement il n’y eut que deux blessés.
Leurs Majestés furent reçues à l’entrée de la Chapelle tronquée sous un dais porté par quatre conseillers municipaux ; elles furent accueillies peut-être en musique et par un abbé Xavier Mouls qui surveillait le chantier de « son » église et qui, alors qu’on avait voulu l’éviter, allait se trouver à la fête grâce au déluge qui tombait du ciel.
La cérémonie religieuse improvisée se limita à une bénédiction du Saint-Sacrement et l’orphéon de La Bastide, sous la direction de M. Lizé, chanta le « Domine salvum fac imperatorem ». Le couple impérial et les personnalités quittèrent la chapelle, aux accents de la fanfare de Bordeaux, dirigée par Bernard Vernis.
La pluie persistant, ce fut en voiture que l’empereur et l’impératrice et quelques rares invités – dont le curé Mouls devenu persona grata – rejoignirent le Prince impérial sur le front de mer. Un déjeuner pour le moins rapide y fut offert, à l’issue duquel l’empereur, tout en contemplant le bassin depuis le grand salon de la villa, s’entretint du projet de port de refuge avec MM. de Mentque, Pageot des Noutières, Droeling, Arman et Travot.
Avec Lamarque de Plaisance, Napoléon III aborda peut-être la question portuaire ; mais le maire d’Arcachon, il sut surtout intéresser le chef de l’état à des projets plus spécifiquement arcachonnais et glissa dans la conversation le nom de l’abbé Mouls. L’empereur fit alors remettre à Lamarque de Plaisance une somme de mille francs pour la Société de secours mutuels de Notre-Dame d’Arcachon et promit dix mille francs pour la construction de l’église paroissiale. Et quelques instants plus tard, Napoléon III annonçait au curé de Notre-Dame qu’il était fait chevalier de la Légion d’Honneur, tout comme un officier de timonerie de l’aviso l’Australie, officier d’origine étrangère blessé au service de la France.
On a écrit que l’abbé Mouls avait « harangué » le couple impérial avant d’être décoré sur le parvis de l’église en construction par l’empereur lui-même. Il n’en fut donc rien. En effet, le maréchal Aimable Pélissier, duc de Malakoff et Grand Chancelier de la Légion d’Honneur, s’étonna auprès du préfet de la Gironde, le 31 décembre 1859, d’avoir reçu de l’abbé Mouls une lettre dans laquelle celui-ci réclamait sa croix de chevalier ! Le préfet dut reconnaître qu’il y avait eu une erreur dans « la liste des personnes qui ont reçu des mains de l’Empereur la croix de la Légion d’Honneur lors de son passage dans le département de la Gironde » ; dans la transmission du 11 novembre 1859, une précision manquait : l’abbé Mouls avait été fait chevalier « verbalement » mais n’avait pas été décoré des mains de l’empereur.
L’heure tournait. Napoléon III, « indisposé » et chagriné d’avoir vu sa promenade sur le Bassin compromise par la pluie, avait hâte de gagner Bordeaux. A quinze heures, le couple impérial, sa suite et les personnalités bordelaises remontaient dans le train. L’enthousiasme des Arcachonnais n’avait pas été rafraîchi par la pluie. Vivats et acclamations accompagnèrent le départ des visiteurs qui arrivèrent à Bordeaux à 17 heures, avec un ciel plus clément. La visite impériale avait duré tout au plus une heure et quart !
III. LES SUITES DE LA VISITE IMPERIALE
Les cadeaux aux « Arcachonnais »
Dès le 11 octobre à 9 heures du matin, le préfet de la Gironde télégraphiait au maire d’Arcachon :
« LL. MM. désirent avoir des nouvelles des deux personnes blessées hier. Quelles sont leur situation et leurs ressources. Remettez immédiatement à chacun d’eux un premier secours de 200 francs ; je vous transmettrai à cet égard de nouvelles instructions selon votre réponse que j’attends par le télégraphe ».
A midi 30, M. de Mentque s’impatientant, une nouvelle dépêche partait de Bordeaux : « J’attends votre réponse à ma dépêche de ce matin ». A 13 heures 15, Lamarque était enfin en mesure de fournir un début de réponse : « Les blessés n’étant pas d’Arcachon, pas encore de nouvelles sur leur situation actuelle. Hier soir, l’un presque rien, l’autre moins grièvement blessé qu’on ne croyait a pu être transporté à Mestras. Secours expédiés. Aussitôt reçus, détails envoyés. ».
A 18 heures, la dépêche n° 964 pouvait satisfaire le préfet : « Le blessé se nomme Pivert, 45 ans, marin, marié 4 enfants. Sans fortune, très honnête homme. Un peu plus souffrant qu’hier soir. Toutefois sans danger actuel, a reçu le secours. L’autre légèrement blessé à une main et une jambe a 60 ans. Encore inconnu. On le recherche. »
Les échanges entre la Préfecture et la mairie d’Arcachon trouvèrent un point final, avec la lettre du 22 octobre 1859 que le Préfet adressa à Lamarque de Plaisance :
« J’ai eu l’honneur, selon les ordres de l’Empereur, de faire connaître à M. le Général Fleury, l’emploi qui avait été fait des 400 francs pour les deux personnes blessées à Arcachon, savoir 200 francs à Jacobson et 200 francs à Pivert.
J’ai exprimé qu’en ce qui touche le premier, ce secours avait été plus que suffisant bien que Jacobson soit un vieillard de 70 ans ; mais quant à Pivert, j’ai fait remarquer qu’il avait été plus gravement atteint et que sa famille se composait d’une femme et de quatre enfants.
Je suis heureux de vous annoncer que dans son inépuisable munificence, Sa Majesté vient d’accorder un nouveau secours de 500 francs au Sr Pivert.
Cette somme est ci-jointe en un billet de Banque. Je vous prie de la remettre au pauvre marin blessé et de bien vouloir m’en accuser réception.
Je vous serai obligé en même temps de me donner des nouvelles de l’état actuel de Pivert pour que je puisse en informer le Général Fleury en lui envoyant l’accusé de réception … ».
Le 12 octobre 1859, dans l’après-midi, après que le couple impérial eut quitté Bordeaux, le Préfet faisait télégraphier à Lamarque de Plaisance :
« L’Empereur m’a remis ce matin 10.000 francs pour l’église d’Arcachon.
S.M. m’a remis également deux bijoux, une lettre vous dira leur destination.
La lettre et les deux bijoux sont à la poste. Envoyez chercher les dix mille francs… ».
La lettre avait été rédigée par le premier chambellan de l’Impératrice, le duc de Tascher de la Pagerie, qui prévenait ainsi Lamarque de Plaisance :
« L’Impératrice m’ordonne de vous envoyer deux petits objets que vous voudrez bien distribuer de la manière suivante.
La montre au jeune garçon qui a donné le vaisseau au Prince Impérial, et la petite broche à la jeune fille qui a donné le bouquet à Sa Majesté… ».
Le dernier cadeau que fit l’empereur aux Arcachonnais en 1859, omis par l’ensemble des auteurs locaux, est le tableau de Jules Richomme, intitulé Saint-Nicolas calmant la tempête [ou calmant les flots], œuvre toute chargée de symbolique, offerte à la chapelle Saint-Ferdinand (la paroisse n’avait pas encore était créée). On peut y voir en effet le pendant de Thomas Illyricus priant pour sauver un bateau dans la tempête, à l’origine de la Chapelle des Marins. On peut y voir aussi le souhait de Napoléon III de tout mettre en œuvre pour résoudre les difficultés d’un quartier qui n’était pas encore exclusivement celui des marins pêcheurs mais celui des précurseurs de l’ostréiculture alors en proie à d’insurmontables difficultés financières par suite de l’échec des parcs de dépôts.
Ce don à la Chapelle Saint-Ferdinand conduit ainsi à une première hypothèse. Et si la visite de Napoléon III à Arcachon, fût-elle expresse, ne s’était pas limitée au projet de port de refuge, à un rapide coup d’œil sur la nouvelle commune et à quelques cadeaux ?
La naissance de l’ostréiculture
En effet, il est à remarquer que parmi les personnalités qui accueillirent l’Empereur en gare d’Arcachon, se trouvait Victor Coste. Présence pour le moins surprenante. Celui-ci était arrivé à Arcachon le 6 octobre, et avait procédé à de larges consultations les 7, 8 et 9 octobre dans le cadre de la mission qui lui avait été confiée par le Ministre de la Marine sur la question huîtrière.
Cette enquête avait été provoquée par un mémoire du maître au cabotage Pierre-Ostinde Lafon, daté du 15 juin 1859 et intitulé Observations sur les huîtres du Bassin d’Arcachon, qui se concluait en forme de pétition :
« Terminons notre petit travail en priant Son Excellence Monsieur le Ministre de la marine, de s’informer, en ordonnant une enquête auprès des pêcheurs, si nos renseignements sont vrais et s’ils méritent son attention ».
Tout semble indiquer que Coste, qui en avait terminé avec les pêcheurs d’huîtres locaux, avait été invité à prolonger son séjour à Arcachon et à faire partie du comité d’accueil de l’Empereur, vraisemblablement par Lamarque de Plaisance sinon par les « ostréiculteurs » de son conseil – Jean-Baptiste Durand notamment.
Comment dès lors ne pas imaginer que Coste, en saluant Napoléon III, n’ait pas glissé quelques mots sur sa présence et sa mission ? Comment ne pas imaginer que Lamarque de Plaisance lui-même, lors de son aparté avec l’empereur n’ait pas évoqué le problème huîtrier du bassin ?
Un mois plus tard, le 9 novembre, Coste rendait sa copie au Ministre de la Marine, son Rapport sur le repeuplement du bassin d’Arcachon qui suggérait la création de « fermes modèles » – les parcs impériaux, et allait inspirer le décret impérial du 29 février 1860 qui devait permettre, à terme, l’émergence de l’ostréiculture arcachonnaise.
La réalisation de la Ville d’Hiver
Parallèlement, la visite d’octobre 1859 se révèle, à l’examen, décisive pour la réalisation de la célèbre Ville d’Hiver.
Contrairement à ce qui est écrit çà et là, le prolongement de la ligne de chemin de fer Bordeaux-La Teste jusqu’à Arcachon réalisé pour le compte de la Compagnie du Midi, de novembre 1856 à juillet 1857, n’avait pas pour but d’amener une clientèle fortunée à la Ville d’Hiver ; elle n’existait pas encore. Et l’idée de cette « ville » particulière ne devait être lancée par Emile Pereire que le 8 mai 1857 dans une lettre au ministre Pierre Magne.
Lorsque Napoléon III se déplaça à Arcachon le 10 octobre 1859, la Ville d’Hiver était donc toujours à l’état de projet pour des raisons exclusivement juridiques : comme toutes les forêts domaniales, les récentes forêts dunaires étaient inaliénables si bien que les hauteurs nouvellement boisées d’Arcachon que guignait le président de la Compagnie du Midi lui étaient pour l’heure interdites.
Qui plus est, la première acquisition de Pereire (56 hectares au-delà de la Chapelle, dans la perspective d’un parc casino), tout comme la seconde (emplacement des rampes d’accès au futur parc mauresque) intervinrent avant même le 28 juillet 1860, c’est-à-dire avant le vote de la loi autorisant « les aliénations de forêts domaniales en plaine » : la première fut réalisée quelques jours à peine après le passage de l’empereur (en novembre 1859), la seconde le 7 mars 1860.
émile Pereire se serait-il lancé dans ces acquisitions qui risquaient d’être totalement inutiles, s’il n’avait pas obtenu des assurances de l’Empereur ? En effet, les parcelles sur lesquelles allaient être construits le casino mauresque et la mosaïque de villas ne furent adjugées à la Compagnie du Midi et à son président que le lundi 7 octobre 1861 et le 24 février 1863.
Ces dernières acquisitions, du moins celle de 1861, qui sollicitaient d’étrange manière la première des lois du 28 juillet 1860, furent facilitées par l’intervention du nouveau ministre des finances Adolphe de Forcade La Roquette … qui n’était autre que le demi-frère utérin du maréchal de Saint-Arnaud !
Et lorsque Paul Régnauld en eut terminé avec le chalet Pereire et le casino mauresque à l’été 1863, il convient de remarquer que Napoléon III accepta tout naturellement l’invitation d’émile Pereire à visiter la ville d’hiver.
Et si l’empereur, sans son épouse et sans son fils, mais en compagnie de Prosper Mérimée et du général Lebœuf, vint pour la seconde fois à Arcachon le 4 octobre 1863 il le fit sans même prévenir les autorités arcachonnaises !
Une seconde visite impériale qui mériterait, elle aussi, d’être réexaminée…