LE DICTIONNAIRE GASCON-FRANCAIS DE VINCENT FOIX
(1857-1932)
ET L’HISTOIRE DE SON EDITION PAR LE CECAES,
Centre de recherche de l’Université de Bordeaux III
Puisque, selon les occitanistes militants, Montesquieu est un auteur gascon d’expression française, qui ne dédaignait pas de parler la langue locale avec ses régisseurs, nous retrouvons, par une voie détournée, celui sous l’égide duquel travaillent les membres de l’Académie.
Plus sérieusement, nous allons voir, à grands traits, l’origine, l’élaboration et l’accomplissement d’une entreprise de longue haleine, commencée en 1990 pour aboutir en 2003 à l’édition du Dictionnaire gascon-français de Vincent Foix, œuvre de 820 p., édité par les P.U.B., c’est-à-dire les Presses Universitaires de Bordeaux.
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Avant d’entrer dans le vif du sujet, posons-nous deux questions préliminaires. 1) Pourquoi le dictionnaire de Vincent Foix, resté à l’état de manuscrit, méritait-il l’édition, des décennies après la mort de son auteur ? 2) Qui était Vincent Foix et de quel gascon s’agit-il dans son œuvre ?
D’abord, le dictionnaire de Foix présente une richesse lexicologique incomparable par les visées d’exhaustivité de l’auteur qui a travaillé une quarantaine d’années (1889-1932) jusqu’à sa mort, à son manuscrit, et par le foisonnement d’exemples qu’il y a mis. Son dictionnaire échappe à la redoutable condamnation de l’épigraphe du Dictionnaire Larousse que nous connaissons tous : « Un Dictionnaire sans exemple est un squelette ». Dans le domaine de la lexicologie, nous surprenons, en outre, les différents stades d’élaboration d’un Dictionnaire qui se croise avec trois lexiques spécialisés que Vincent Foix était en train d’élaborer dans le même temps. Ce point est très important, nous y reviendrons.
Ensuite, le dictionnaire de Foix méritait d’être édité parce qu’il offre une valeur scientifique. Sa composition est inspirée de celle du Dictionnaire de la langue française (1873) d’Emile Littré (1801-1881) pour la construction des articles. Il comprend un nombre élevé de feuillets manuscrits : mille six cents en grand format de 24×36 cm et un nombre non moins important d’entrées, environ quatorze mille. Dans le domaine linguistique, nous avons affaire au troisième volet d’un triptyque sur le gascon : en Béarn, Armagnac et Landes. Le dictionnaire de Vastin Lespy (en 1887) avait traité du Béarn, Justin Cénac-Moncaut en 1863 de l’Armagnac ; manquait le troisième sur les Landes. De plus, pour des raisons que nous expliquerons plus loin, Vincent Foix a dû se livrer à des recherches graphiques, complexes, pour transcrire les sons locaux et rendre compte de la pratique linguistique landaise, ouvrant la voie à des comparaisons.
Enfin, le dictionnaire de Foix renferme une très remarquable richesse littéraire et historique. Ses citations partent des chartes des XIVe et XVe siècles, se poursuivent par le XVIIIe. Pour le XIXe siècle et le premier tiers du XXe, il constitue une anthologie de la littérature en gascon, qu’il s’agisse de poésies, de contes, d’articles de journaux régionaux. Le vocabulaire spécialisé n’est pas oublié par la place accordée à la flore, à la faune aussi bien qu’aux maladies. C’est un document irremplaçable en matière de traditions orales, d’agriculture en Aquitaine, d’échos de problèmes nationaux (polémiques religieuses et politiques) dont traitaient les journaux au tournant du siècle. Il donne des textes de chansons, de coutumes de fêtes populaires, cite des proverbes, comptines, devinettes, anecdotes où l’humour le dispute au pittoresque et, bien sûr, des cantiques et des prières.
Car Vincent Foix était un ecclésiastique. Né à Narrosse en 1857, à quelques kilomètres à l’est de Dax, il fut d’abord vicaire à Magescq, puis de 1887 à 1932, date de sa mort, il assura la charge de curé de Laurède, village entre Dax et Saint-Sever. La mention de ces villages a son importance dans la composition du dictionnaire, comme nous allons le voir tout de suite.
En effet, au point de vue de la langue, la réalité landaise possède une propriété remarquable : le contraste entre la moitié Est et la moitié Ouest en ce qui concerne le e tonique, que l’on trouve par exemple dans le mot hemne : femme. Dans la partie orientale, nous sommes très près de la prononciation des parlers béarnais, bigourdans ou armagnacais où le mot est prononcé [la ‘hemnǝ] ; c’est ce que l’on appelle le « parler clair ». A l’opposé, la zone du « parler noir » couvre la façade atlantique, des landes girondines à l’Adour, elle voit ce e articulé de façon tout à fait différente : [l’œ ‘hœmnœ].La ligne qui sépare le « parler noir » du reste de l’ensemble landais passe par Peyrehorade et Tartas, c’est-à-dire entre Dax et Hinx, secteur dans lequel se situe très exactement Narrosse, le lieu de naissance de l’abbé Foix. Sa nomination à Magescq le situe dans la zone noire, avant que sa cure de Laurède le renvoie dans la partie orientale du « parler clair ». L’abbé Foix est donc un homme de la Chalosse plutôt qu’un Landais de la forêt, de la Grande Lande.
L’abbé Foix appartient à la catégorie de prêtres érudits qui, entre la moitié du XIXe siècle et la seconde guerre mondiale, depuis leur presbytère, entreprennent selon le cas une œuvre d’archéologie, d’histoire locale ou de lexicologie. Ils jouent un rôle capital dans la vie intellectuelle de province. Plus de 43% des auteurs gascons des Landes étaient à l’époque des ecclésiastiques.
Passionné de recherche, l’abbé Foix a laissé une œuvre importante et variée. Aux Archives Départementales de Mont-de-Marsan se trouvent pas moins de trois cents liasses, deux mille volumes et fascicules de lui dont un noyau d’une vingtaine de liasses de chacune environ vingt sermons et avis en assez bon état de conservation, contrairement au dictionnaire.
Bien que discret et peu mondain, l’abbé Foix a envoyé quelques articles à des journaux conservateurs de Dax, des études à Reclams de Biarn e Gascougne qui existe encore, la revue du felibrige fondée en 1897 par Camelat et Palay. Il a surtout collaboré au Bulletin de la Société de Borda auquel il donna une vingtaine d’articles ou de communications. Comme vous le savez cette revue, lue dans le monde entier, qui porte allègrement ses cent trente-huit ans, a toujours eu un niveau scientifique indiscutable. Notre lexicologue fut pendant dix-huit ans secrétaire général de la Société de Borda.
Parmi ses œuvres, outre un Glossaire de sorcellerie landaise, il publia un ouvrage de Poésie populaire landaise, choix de prières, formulettes, attrapes, énigmes, dictons, proverbes et chants religieux ; il réédita le mystérieux livre des Fables causides de La Fontaine en bers gascouns. Il a, de plus, écrit sous des pseudonymes comme Bouhart, sobriquet des gens de Soustons (vantard, bouffi d’orgueil ou Lou Tort d’Escane-Bielhe, le boiteux d’étrangle-vieille [variété de poire]).
Plus originales et plus connues sont ses œuvres de lexicologue. Nous en dirons quelques mots, car trois de ces ouvrages nous ont servi pour l’édition du Dictionnaire. Restées à l’état de manuscrits, ces trois études ont été envoyées à l’Académie Nationale des Sciences, Belles Lettres et Arts de Bordeaux pour concourir au prix de langue gasconne de la Fondation du marquis de Lagrange. Elles se trouvent déposées aux Archives Municipales de Bordeaux. Ce sont :
– en 1902 Mon Patois de Laurède, 213 p. où il décrit méthodiquement son patois entre parler « noir » et parler « clair ». L’abbé Foix obtint le prix en 1903.
– En 1907, il envoie Les Termes injurieux du gascon des Landes, 210 p. où il donne mille deux cent quarante-quatre articles sur des termes injurieux, deux cent cinquante comparaisons malsonnantes et plus de trois cents proverbes, œuvre rédigée en dialecte de Soustons. Le prix lui fut à nouveau décerné. Il convient de savoir qu’à l’époque, il était assorti d’une somme intéressante en francs-or. En 1997, on m’a donné à la place une médaille de bronze.
– En 1921, il concourt encore en adressant : Glossaire, avec traduction, des principales expressions techniques, employées par les cultivateurs, vignerons et pêcheurs de Laurède (Landes), 253 p. qui compte mille quatre cent vingt-sept entrées. Ce travail rappelle que Laurède vécut longtemps de la production et de l’expédition des vins de Chalosse vers Bayonne. L’ouvrage fut couronné par le prix en 1922.
Tous les ouvrages de Vincent Foix témoignent de la curiosité insatiable de ce grand homme qui n’ignorait ni les bouquinistes des quais de la Seine, ni les stations dans les salles de lecture de la Bibliothèque Nationale. Dans ses ouvrages, l’abondance des citations et la variété des domaines embrassés confèrent à ses œuvres une valeur de référence. Il existe de lui aux Archives des Landes une masse de pages encore inédites à explorer et à exploiter.
En possession de ces quelques éléments de connaissance sur Vincent Foix et ses œuvres, il sera plus facile de suivre l’édition de son chef-d’œuvre par rapport aux activités du CECAES.
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En 1983, sous le patronage de mon ancien professeur, Yves Lefèvre, qui dut prendre prématurément sa retraite l’année suivante, j’avais fondé le Centre d’Etudes des Cultures d’Aquitaine et d’Europe du Sud (CECAES), avec Monique Rouch, professeur de langue et de littérature italiennes à l’Université de Bordeaux III. Ce centre fut de 1987 à 1990 Formation recommandée par le Ministère de la Recherche et de l’Enseignement Supérieur et bénéficia, à ce titre, en 1988, d’une aide du CNRS. Cette année-là, nous avions organisé un colloque à l’Athénée dont les Actes ont paru en 1989, La littérature régionale en langue d’oc et en français à Bordeaux et en Gironde, MSHA, 223 p. Le CECAES développait des recherches pluridisciplinaires et comparatistes sur les cultures régionales en Aquitaine, spécialement sur la culture occitane gasconne, étudiant les interactions entre culture locale et culture nationale. Cela s’opérait selon deux axes : le premier, intitulé « Littérature et région » s’intéressait aux troubadours (Jaufré Rudel, prince de Blaye), au type littéraire du gascon (Codex Calixtinus, XIIe s., Cyrano d’E. Rostand, aux folkloristes (J.F. Bladé), à la littérature populaire du Bordelais (comme celle d’Ulysse Despaux dont nous avons réédité les Types bordelais en 1992), et bien sûr aux écrivains gascons des Landes. Le second axe, intitulé « Pratiques linguistiques et identité régionale », celui qui va nous intéresser maintenant portait sur les particularités lexicales et syntaxiques du français en Aquitaine : toponymie du Médoc, participation aux topoguides de la Gironde, patronnés par le Conseil Général, étude sur le parler des dockers : Lexique des manutentions dans le port de Bordeaux, 1990, 58 p. par Serge Joigneau), étude commandée par la Mémoire de Bordeaux, etc.
En mars 1990, le CECAES est pressenti, d’abord de façon informelle, à travers deux membres landais du Centre, par le Conseil Général des Landes. Il s’agissait d’établir, pour juin 1992 et pour la somme dérisoire de 20 000 F par an, le texte inédit du Dictionnaire de Vincent Foix. Il faut préciser qu’à l’époque, on parlait beaucoup de ce dictionnaire dans les milieux occitans. Mais c’était comme l’Arlésienne, très peu l’avaient entrevu et personne n’avait pris la peine de travailler sur le texte. Quand en réunion du centre, j’exprime des réserves sur l’insuffisance en temps, en personnel et en moyens impartis, hochements de menton et revers de mains ont vite fait de balayer mes raisons.
Ce type de travail nous intéressait pour deux motifs au moins. Il correspondait au second axe de recherches du CECAES : « Pratiques linguistiques et identité régionale ». Surtout, il s’agissait de tirer de l’oubli et de sauvegarder un ouvrage majeur, pour le voir occuper la place qui lui revenait parmi les dictionnaires du domaine d’oc.
Le but de l’édition était d’en permettre la consultation par le plus grand nombre, sans avoir recours au seul manuscrit, lequel avait été microfilmé quelques années plus tôt aux Archives Départementales des Landes à des fins de conservation. Mais il restait souvent illisible car très détérioré par les manipulations, déchiré, surtout rongé et attaqué par les rongeurs et insectes pendant le temps où la cure de Laurède était restée fermée après la mort de Vincent Foix. Les Archives des Landes allaient nous fournir les photocopies des mille six cents feuillets que le CECAES devait photocopier à son tour pour les distribuer à chaque déchiffreur.
Nous souhaitions établir le texte en vue d’une édition érudite et non savante, destinée aux enseignements du secondaire et du supérieur et au grand public. L’objectif était double, pédagogique et scientifique, sans qu’il s’agisse d’une édition critique. Sur le plan pédagogique, aucun dictionnaire ne présente une information comparable sur la culture gasconne en général. Sur le plan scientifique, l’utilité de l’édition se montrait évidente car aucun dictionnaire ne reproduisait avec autant de minutie les différentes prononciations du gascon des Landes.
En janvier 1991 commencent les réunions hebdomadaires. Chaque déchiffreur-éditeur étudie la lettre en sa possession pour repérer les difficultés de lecture, les fautes, revoir au besoin la structure des articles, contrôler l’exactitude des citations, les noms de leurs auteurs, les toponymes, etc.…
En juin 1991, la revue du CECAES, Garona, que j’avais fondée en 1985 et publiait les communications du séminaire mensuel, consacre son n°7 spécial à la problématique posée par l’entreprise. Un des déchiffreurs du manuscrit y étudie le Dictionnaire du patois de La Teste, composé en 1870 par Pierre Moureau, un autre s’interroge sur la façon de reconstituer la démarche d’élaboration du dictionnaire de Vincent Foix. Un autre encore met en relief les particularités du dialecte de l’abbé Foix : le parler » clair », ouvert, par rapport au parler « noir », plus fermé.
Très vite, le travail sur le Dictionnaire a suscité l’intérêt d’autres chercheurs. Nous avons demandé conseil aux plus expérimentés, car nous tenions à donner un caractère scientifique à l’entreprise et pour cela être préparés le mieux possible. Les réunions avaient commencé avec une vingtaine de membres du CECAES présents. Déjà, certains se contentaient de réclamer les photocopies du manuscrit du dictionnaire sans faire le moindre travail, puis ne reparaissaient plus dès qu’ils avaient l’ensemble des photocopies.
Au début de 1992, l’entreprise de déchiffrement s’est révélée plus difficile que prévu, à cause de l’état de conservation du manuscrit. Plusieurs collègues cessent de venir, alléguant leurs charges professionnelles, en fait rebutés par le caractère ardu du travail.
En 1993, le Conseil Général des Landes, peu au fait des longues années nécessaires à un travail de recherche de caractère scientifique, met un obstacle à notre entreprise. Il refuse de nous accorder un délai et davantage de crédits. Il n’a d’ailleurs jamais payé les derniers 20 000 F. Il nous somme même de lui donner le travail en l’état. Le Président de l’Université reçoit une lettre comminatoire du Président du Conseil Général des Landes en septembre 1993. Le vice-président et moi-même allons discuter à Mont-de-Marsan, au début de novembre 1993, avec un représentant du Conseil Général et leur attaché culturel, pour donner des explications sur notre apparente lenteur. N’étant pas entendus, le vice-président annonce, comme nous l’avions décidé, que nous gardons les pages déjà déchiffrées et que l’Université va prendre en charge le travail.
A partir de cette démarche de novembre, l’Université a été sensibilisée à l’intérêt de ce que faisait le CECAES pour éditer le dictionnaire. Enfin, nous nous trouvions entre personnes qui savaient de quoi elles parlaient et ce qu’étaient les besoins en temps et en financement d’une recherche. L’établissement du texte pouvait continuer dans une atmosphère plus sereine. Les demandes de crédit allaient se succéder pendant cinq ans (1994, 95, 96, 97, 2000) auprès de l’Université de Bordeaux III sous la forme de Bonus Qualité Recherche et auprès du Conseil Régional d’Aquitaine, en 1994, 95, 96, enfin en 2000 pour l’édition.
Ainsi, en janvier 2001, les PUB auront le texte complet de l’ouvrage prêt à être édité.
L’adjoint au Directeur du Service de l’Enseignement Supérieur au Conseil Régional, comme un autre expert membre du CNRS, avaient dès 1995 la meilleure opinion du CECAES. Comme le Comité scientifique national d’experts établissait sur notre travail un rapport excellent chaque fois que la Région en exigeait un, nous avons pu obtenir ces crédits. J’étais, d’autre part, bien conseillée par le nouveau vice-président, notamment pour réserver au maximum les aides annuelles, comme participation de l’Université au montage financier avec la Région. Ainsi avons-nous pu gérer le budget d’une entreprise onéreuse, au milieu des subtilités de l’administration.
Continuons donc de suivre l’élaboration du travail d’édition du Dictionnaire gascon-français.
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Comme nous l’avons vu, nous tenions à éditer ce dictionnaire à cause de l’immense culture gasconne que Vincent Foix y avait mise, supérieure à celles des auteurs d’autres dictionnaires de la fin du XIXe siècle. Le seul dictionnaire d’importance pendant que V. Foix travaillait était celui de Simin Palay, Dictionnaire du béarnais et du gascon modernes, dont le début sort des presses en 1932, puis 1934, année de la mort de l’abbé Foix. Simin Palay, majoral du félibrige, fut aidé de toute l’école Gaston Phébus. Son dictionnaire tient compte de l’ensemble du domaine gascon, mais s’appuie pour l’essentiel sur les parlers pyrénéens. Au fil des éditions, il allait embrasser toute l’aire linguistique gasconne, des Pyrénées aux confins du Périgord, avec comme norme unificatrice le béarnais de la plaine de
Pau. Malheureusement, ce dictionnaire présente des lacunes et n’est pas toujours sûr. Par rapport à ce dictionnaire, celui de l’abbé Foix présente le double avantage d’être à la fois plus spécifique, parce que plus local, et plus riche car il fournit un grand nombre d’exemples où foisonnent locutions, contes, comptines dont est dépourvu l’ouvrage de Palay. Cela parce que Vincent Foix a travaillé au moment où la tradition orale semble sur le point de se tarir. Il a compris qu’il convenait de sauvegarder ce qu’il en restait.
Un problème s’était tout de suite posé à nous : le manuscrit du dictionnaire n’était pas publiable en l’état. Certaines rubriques étaient incomplètes et ont dû être reprises à l’aide des ajouts que Vincent Foix avait effectués dans les dernières années de sa vie. Ainsi, l’établissement du texte lui-même a représenté un travail considérable qui a nécessité la consultation de sources documentaires variées, et d’abord l’étude des dictionnaires, grammaires, lexiques gascons préexistants, la connaissance approfondie du gascon et de solides compétences en lexicographie dialectale. Plusieurs membres de la Commission scientifique étaient professeurs de gascon ou surtout, comme Michel Belly, professeur de gascon, agrégé d’espagnol et docteur ès-lettres en lexicologie gasconne.
Justement, des recherches effectuées dans le fonds V. Foix aux Archives des Landes, ont donné l’occasion à Michel Belly de faire une découverte capitale : dans une liasse non inventoriée de ce fonds, il a découvert l’ébauche manuscrite du brouillon du Dictionnaire : 689 feuillets sur deux colonnes, classés de A à De, c’est-à-dire les lettres où il y a le plus d’entrées dans les langues romanes, rédigées sans doute à la fin du XIXe siècle. Ces feuillets ont constitué un outil de travail essentiel. Le principe de compléter le travail de l’abbé Foix par lui-même a pu ainsi être adopté car cette trouvaille apportait des matériaux de première main. Il devenait ainsi possible d’apprécier la méthode de travail du lexicographe.
En ce qui concerne la macrostructure de notre édition, l’ordre alphabétique strict a été choisi, conformément aux règles en usage, alors que Vincent Foix y avait souvent dérogé, soit pour regrouper des mots de la même famille, soit pour des raisons d’évolution de sa graphie. Car l’orthographe du manuscrit du dictionnaire, dont la rédaction s’est poursuivie pendant plusieurs décennies sans aller jusqu’à l’achèvement, a évolué. Nous avons adopté sa dernière graphie pour l’entrée et laissé inchangé le reste de l’article. En effet, la graphie de V. Foix s’est précisée, en parallèle avec les efforts que l’Escole Gastou Febus a consentis, fixant et appliquant des règles orthographiques d’abord débattues dans Reclams de Biarn e Gascougne, puis imposées en 1900 avec l’aide du professeur Edouard Bourciez (1854-1946), pour qui avait été fondée, en 1893, la chaire de « Langue et littérature du Sud-ouest de la France » à la Faculté des Lettres de Bordeaux, dont les successeurs furent les professeurs Gaston Guillaumie jusqu’en 1953 et Yves Lefèvre, jusqu’en 1984, année où elle disparaît.
Dans un nombre restreint de cas, nous avons enrichi la macrostructure en mettant une entrée supplémentaire :
1) lorsque figurait dans la rubrique un dérivé, assorti au moins d’un exemple ;
2) lorsque Vincent Foix n’a pas séparé deux homonymes, alors qu’il a identifié deux étymons ;
3) lorsqu’existe dans le brouillon du Dictionnaire une entrée qui n’a pas été utilisée dans la version ultérieure et présente un intérêt historique ;
4) lorsque se trouve dans Les Termes injurieux du gascon ou dans le Glossaire des vignerons une entrée qui n’a pas été mise dans le Dictionnaire gascon-français.
Pour la microstructure de chaque article du Dictionnaire, l’état d’inachèvement du manuscrit a demandé parfois des éléments complémentaires – toujours marqués par un astérisque – dans quatre cas :
1) lorsqu’il n’y avait que l’entrée, l’article n’étant pas rédigé ;
2) lorsque dans un article une information manquait, on a ajouté par exemple, le titre d’ouvrage ou le nom de l’auteur, ou la page ;
3) lorsqu’une citation ou son attribution était erronée, nous avons corrigé ;
4) lorsque le manuscrit avait été endommagé.
Pour cela, nous nous sommes servis de textes du même auteur, c’est-à-dire des manuscrits inédits présentés à l’Académie de Bordeaux. Nous avons trouvé un intérêt supplémentaire dans ces écrits intermédiaires. En effet, dans les Termes injurieux du gascon et dans le Glossaire des vignerons figurent les mêmes exemples et les mêmes citations que dans le Dictionnaire, mais là, c’est essentiel, ils sont traduits par Vincent Foix lui-même, alors que les traductions ne figuraient pas toujours dans le Dictionnaire.
Chaque ajout tiré des œuvres de Vincent Foix, signalé par un astérisque, est suivi d’un matricule formé par l’abréviation des œuvres et le numéro sous lequel il se trouve dans les originaux. Par exemple : Vi.732 ou J.650.
Lorsqu’un mot ou un fragment de phrase s’avérait indéchiffrable parce que le manuscrit du Dictionnaire est déchiré ou endommagé et que les œuvres intermédiaires ne pouvaient suppléer au manque, l’expression [manuscrit déchiré] entre crochets mentionne ce manque. La langue de Vincent Foix comporte des traits de français régional que nous avons conservés.
Vous pouvez vous en rendre compte, nous avons respecté au maximum le texte de l’abbé Foix pour ne pas bouleverser son œuvre. En mettant un signe chaque fois que nous sommes intervenus, cela permet à un lecteur scientifique de discerner nos corrections de l’état original.
Voyons maintenant l’accomplissement de cette entreprise de longue haleine.
Avant de terminer, il convient de parler, pour mémoire, de la présentation matérielle. La chance, pour le façonnage du Dictionnaire, a été la présence chez l’imprimeur Paragraphic de Toulouse, racheté pendant l’impression par le groupe Lienhard d’Aubenas, d’un graphiste italien pour faire le lien entre le client et l’imprimeur pendant la fabrication du livre. A mon avis, comme au sien, il fallait un papier solide, ni trop épais (il aurait fallu deux volumes), ni papier bible trop fin (on aurait aperçu les colonnes de la page suivante).
L’esthétique recherchée ne relevait pas, bien sûr, de la vanité ; il s’agissait de commodité de consultation. Nous avons donc tenu à la reliure en cahiers, la plus solide. Nous avons choisi une reliure pleine toile, car un dictionnaire doit accompagner longtemps son propriétaire, qu’il soit chercheur ou amateur éclairé.
Enfin, la jaquette a fait l’objet de réflexion. J’ai préféré un fond de carte de Cassini, correspondant au « parler clair ». César Cassini (1714-1784), avant-dernier représentant d’une famille d’astronomes italiens, commença la carte topographique de la France que son fils termina. Ce choix, là encore, ne relève pas de la fantaisie. Cassini vivait à l’époque où les Français cultivés étaient encore polyglottes ou du moins vivaient en situation de diglossie. Comme l’abbé Foix, ils utilisaient, selon leur interlocuteur et les circonstances, le français académique ou le français régional ou le dialecte local.
Tous ces efforts nous ont amenés, en mai 2003, à la publication d’un dictionnaire de 820 pages.
Pour faciliter la consultation, le lecteur dispose de trois instruments de travail :
– le Dictionnaire gascon-français de Vincent Foix avec ses 13 508 articles ;
– un lexique français-gascon, sans définition ni exemple, tiré du Dictionnaire « retourné » ; ce lexique compte 8 463 entrées. Pour repérer plus facilement le lexique, le graphiste a proposé d’ombrer de gris le bord des pages ;
– les éléments d’un Thesaurus gascon (5 761 références) pour la recherche de thèmes transversaux, au nombre de cent quarante-six.
Trois voies s’ouvrent ainsi au lecteur, qui peut partir du gascon, du français ou d’un thème de recherche.
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Pour conclure, nous ferons trois remarques :
D’abord, il nous a semblé que la richesse et l’originalité du Dictionnaire de Foix nous invitait à ne pas nous contenter d’éditer un seul manuscrit incomplet. Nous devions nous souvenir que les Archives, soit de Mont-de-Marsan, soit de Bordeaux, recélaient cinq manuscrits, si l’on peut dire gigogne, le dictionnaire, les trois textes primés et le brouillon du dictionnaire, qu’il nous appartenait de faire connaître aussi, vu leur complémentarité. D’où l’entreprise qui a paru un peu et même tout à fait folle à certains, prêts à sacrifier le caractère scientifique au profit de la rapidité : nous avons achevé ce que le temps n’avait pas permis à Vincent Foix d’accomplir.
Ensuite, en éditant ce Dictionnaire, nous avons prolongé et concrétisé une préoccupation, née à l’époque de l’abbé Foix, quand en France on voyait disparaître, avec la généralisation de l’école obligatoire, les langues régionales, riches d’une littérature, d’un folklore et d’usages à protéger et faire connaître.
Enfin et surtout, ce faisant, nous sommes entrés dans un mouvement européen de remise en valeur d’un patrimoine délaissé. Force est d’ailleurs de reconnaître qu’avant la crise de ces dernières années, les pays voisins comme l’Espagne et l’Italie apportaient officiellement une aide aux chercheurs de lexicologie régionale, plus souvent qu’en France. Je rappelle que le gascon est la langue du Val d’Aran, au sud de la Haute-Garonne, en Catalogne espagnole.
Aujourd’hui, le Dictionnaire gascon-français de l’abbé Foix continue d’être diffusé, preuve de l’intérêt porté par notre temps au patrimoine culturel des régions par une partie de la population qui approuve notre démarche à sa manière en ayant acheté près de sept cents exemplaires.
Puisque restent inédits plus d’un manuscrit de dictionnaire dans les pays d’oc, espérons que l’édition du Dictionnaire de Vincent Foix suscitera de nouveaux projets chez les chercheurs.
Paule Bétérous
Professeur de Littérature Comparée
Université de Bordeaux III