Communications

Ramond de Carbonnières, savant des Lumières, inventeur des Pyrénées par Jacques BATTIN – Séance du 14 mars 2022

 

 

 

 

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Ramond de Carbonnières (1775-1827) est l’inventeur des Pyrénées, selon Béraldi, auteur de Cent ans aux Pyrénées. Sachant bien observer et réfléchir, il devint savant en minéralogie et en botanique. Bi-académicien, d’abord de l’Institut, académie des sciences, pour avoir démontré l’origine sédimentaire du massif calcaire de Gavarnie-Mont Perdu grâce aux fossiles marins, qu’il y décela.
Dans son livre fondateur « Observations faites dans les Pyrénées à la suite de celles faites dans les Alpes » paru en 1789, il écrit : « Après avoir vu le plus beau massif cristallin dans les Alpes (le Mont Blanc) allez dans les Pyrénées voir le plus beau massif calcaire qui culmine à 3353 mètres au Mont Perdu ». Après bien des essais infructueux rapportés dans « Voyages au Mont Perdu », il parvint au sommet en 1802, où il passa deux heures à effectuer diverses mesures, à l’exemple de Horace Benedict de Saussure lors de la deuxième ascension du Mont Blanc effectuée en 1787. La conquête du Mont Perdu relatera cette ascension réussie depuis le col de Niscle et l’arête dénommée depuis Soum de Ramond. Depuis le sommet il découvre les canyons espagnols, Ordesa, Anisclo et Pineta, ces merveilles de la nature, qu’il s’empressa d’aller parcourir.
Sa montagne d’élection était le pic du Midi de Bigorre où il monta 35 fois, de 1787 à 1810 , car du haut de ces 2876 mètres dressés en sentinelle de la chaîne, Ramond distinguait les vallées , les massifs et les 3000 de la haute crête frontière. Comprendre la structure de la chaîne était sa préoccupation première. Sa dernière communication à l’Institut concernait ses herborisations au pic du Midi.
Ramond fut minéralogiste, glaciériste, botaniste – la Ramondia pyrenaïca lui sera attribuée – et son herbier conservé à Bagnères. Il fut éthologiste à propos des pratiques des bergers pyrénéens et des goitreux des montagnes, ces crétins hypothyroïdiens, comparables à deux décrits dans le Valais suisse.
Sa profession de foi scientifique tient dans ces mots : « Plus je vois, plus je sens le besoin de voir et moins je me repose sur ce que j’ai vu….J’ai voulu voir, revoir, considérer les mêmes objets sous différents points de vue, examiner encore ce qui paraissait prouvé, douter même de ce qui paraissait indubitable et surtout laisser passer le temps qui mûrit toutes les idées et redresse tous les jugements ». Sage réflexion pour notre époque qui sacrifie trop à l’instantanéité, ce présentisme exacerbé.
Ramond fut aussi un homme politique. Élu à l’Assemblée Législative, où il était Feuillant modéré, puis proche de Napoléon Ier, qui l’invita à son sacre, il devint baron d’Empire, commandeur de la Légion d’Honneur, et préfet du Puy-de-Dôme. Louis XVIII ne lui en tint pas rigueur en le nommant maître des Requêtes, membre de l’ordre de Saint Michel, et en 1820, membre libre de l’académie royale de médecine pour ses compétences en botanique et en thermalisme.
ll fut ainsi apprécié de tous les régimes politiques. Il était aussi à l’aise avec ses confrères de l’Institut qu’avec les bergers et les contrebandiers espagnols, dont il partageait les repas en montagne en toute simplicité. Cuvier fit son éloge à l’Académie des sciences en le traitant de « savant chamois », alors que cet expert en zoologie comparative aurait dû le comparer à l’isard emblématique des Pyrénées.
Ramond est le père du pyrénéisme, dont il a écrit les plus belles pages agrémentées de cartes et de dessins : « Quiconque n’a point pratiqué les montagnes de premier ordre se formera difficilement une juste idée de ce qui dédommage des fatigues et des dangers que l’on y court. Il se figurera encore moins que ces dangers ont des charmes et il ne pourra s’expliquer l’attrait qui y ramène sans cesse celui qui les connaît, s’il ne se rappelle que l’homme, par sa nature, aime à vaincre des obstacles, que son caractère le porte à chercher des périls et surtout des aventures, et que c’est une des propriétés des montagnes d’alimenter avec profusion cette avidité de sentir et de connaître, passion primitive et inextinguible de l’homme qui s’égare souvent sur le but de sa vie, mais au moins l’endort sur ses misères et l’étourdit sur sa brièveté ».

Ramond était petit, mais robuste, car, dans la journée, il était capable de relier Barèges à Vénasque en Espagne par les sentiers de montagne. Il était un vrai alpiniste s’armant de crampons aux talons pour tenir sur les glaciers importants à cette époque correspondant au petit âge glaciaire. Il avait compris que l’exercice physique, la frugalité, les variations thermiques, l’air sec endurcissent le corps et concourent à donner cette sensation de légèreté, d’allégresse même que l’on n’éprouve que dans les montagnes et les déserts, là où « l’abnégation d’une terre a renoncé à la fertilité pour mieux accueillir l’invisible perfection de l’être » (Le Clézio).
La phrase ramondienne a fait des émules au XIXème siècle avec le comte franco-irlandais Henry Russell-Killough, pour lequel les Pyrénées avaient de quoi « rendre les saints nostalgiques de la terre ». Il y eut aussi les protestants bordelais, le maire Adrien Baysselance, Franz Schrader le géographe, Léonce Lourde Rocheblave concepteur des refuges pyrénéens aux toits en ogive, jusqu’aux jumeaux Ravier, vainqueurs des faces inviolées, tous se réclament de Ramond qui a ouvert la voie à ces montagnes jusque-là méconnues.