La Bulgarie s’est ouverte depuis un peu plus d’un siècle aux recherches archéologiques, dans lesquelles des diplomates français ont joué un rôle pionnier. Au tout début du XXe s. Georges Seure (membre de l’École française d’Athènes) entreprend des fouilles à Veliko Tarnovo, 2e capitale du royaume bulgare au Moyen-Âge, puis à Nicopolis ad Istrum, ville antique sur le Danube. En 1904, Alexandre Degrand, consul de France à Plovdiv, lance des fouilles à Sozopol, l’antique Apollonia du Pont, qui ont été récemment reprises par une équipe franco-bulgare.
À la fin de la préhistoire, la Bulgarie abritait une population sédentaire locale qui fut « fécondée » par des peuplades d’agriculteurs venus d’Anatolie, où l’élevage sédentaire et l’agriculture avaient été « inventés », mettant fin à l’époque des « chasseurs-cueilleurs » du Paléolithique et ouvrant ainsi le Néolithique. Cela a donné en Bulgarie la culture de Varna (5e millénaire) qui a laissé des poteries avec de très beaux décors peints. Puis, à partir du milieu du 4e millénaire apparaissent les populations indo-européennes qui occupent tout le sud des Balkans : Illyriens à l’ouest, Grecs au sud, Thraces à l’est. À la fin du 2e millénaire et au début du 1er, de nouvelles vagues de migration amènent une culture militaire et la métallurgie du fer : les inhumations de cette époque, avec des chars et des chevaux, caractérisent cette culture aristocratique et guerrière qui va demeurer dans le pays jusqu’à sa romanisation.
Homère est le premier à mentionner l’existence des Thraces et d’une région qui porte le même nom, mais sans donner le moindre détail. L’archéologie montre que les peuplades thraces vivaient en petites communautés villageoises regroupées en tribus (plus d’une vingtaine). Elles ont mis longtemps à se réunir et n’ont pas pu empêcher les Grecs d’installer des colonies portuaires sur leurs côtes : au sud, le long de la mer Égée (Abdère, Maronée, Zoni, Ainos et aussi Stagire qui sera la patrie d’Aristote) et de la mer Noire (Apollonia du Pont, Mésembria). Celles-ci deviennent rapidement des nœuds de commerce maritime, permettant aux autres cités grecques, parmi lesquelles Athènes, d’importer depuis les ports égéens et de la mer Noire les ressources remarquables de ces régions nordiques : bois (pour la construction navale : le sud de la Grèce en manque), esclaves, et métaux précieux (or et argent). L’agriculture antique était, comme celle d’aujourd’hui, favorisée par un territoire riche (petites montagnes et plaines bien arrosées) et un climat tempéré.
On connaît le nom de plusieurs tribus thraces et parfois leur localisation plus ou moins précise : Bistones, Édones, Nypséens, Mèdes et Sintes, pour citer quelques exemples. La plus puissante était celle des Odryses.
Les Thraces vécurent généralement en bon rapport avec les Grecs, du fait des intérêts commerciaux croisés de ces deux peuples. Les premiers importaient de l’huile et surtout du vin, ainsi que des céramiques fines destinées aux banquets : le banquet (symposion en grec, latinisé en symposium) était la base de la sociabilité des hommes libres en Grèce et ce rituel social fut imité par les élites thraces (comme le firent aussi les élites gauloises), y compris dans ses aspects matériels (utilisation du « cratère » pour mélanger l’eau et le vin).
Les fouilles ont identifié le site de Pistiros qui était un véritable comptoir grec à l’intérieur de la Thrace, fondé au VIe s. av. J.-C. par des colons venus de l’île de Thasos toute proche. On y a trouvé les vestiges d’une petite ville de type grec avec beaucoup de céramique caractéristique et une remarquable inscription gravée sur pierre (malheureusement lacunaire) qui constitue un véritable traité commercial entre les Grecs et le roi thrace de la région, spécifiant toute sorte de détail juridiques (statut et protection des personnes, recours en cas de contentieux commercial). Au IVe siècle av. J.-C., les Macédoniens (Philippe et Alexandre, Lysimaque puis, au IIIe s. leur successeurs) firent plusieurs tentatives de conquête qui se heurtèrent longtemps à la résistance farouche des guerriers thraces jusqu’à leur défaite inexorable.
Les techniques de construction thraces étant restées très rudimentaires (bois, torchis), leur habitat n’a pas laissé de vestiges : comme c’est le cas en Étrurie, les trouvailles archéologiques se limitent presque exclusivement aux tombes royales et, quand il est conservé, à leur contenu. Les Thraces ont maintenu pour leurs élites l’usage préhistorique des tumuli, présent dans beaucoup d’autres pays d’Europe occidentale, centrale et orientale. Ces tumuli marquaient de manière impressionnante la présence d’une tombe royale enfouie, qui consistait en un bâti en pierre, généralement bien conservé. C’est sans doute à l’imitation de leurs voisins grecs et, plus particulièrement macédoniens, que les Thraces adoptèrent pour ces tombes la technique de la construction en pierre avec couverture en encorbellement et aussi, dans quelques rares cas, l’utilisation du marbre (importé) pour les portes des chambres funéraires proprement dites. La qualité de la réalisation de certaines de ces tombes est remarquable et fait oublier le caractère un peu rudimentaire de cette méthode de construction, déjà pratiquée par les Grecs mille ans plus tôt (on pourrait ajouter : et par les Hittites d’Anatolie)dans les fameuses tombes et fortifications de Mycènes et de Tirynthe : appliquant cette méthode avec efficacité et un soin remarquable apporté à la taille des pierres, les Thraces ne parvinrent cependant pas à accéder au degré ultime de la couverture en pierre, la voûte, que leurs voisins Macédoniens avaient mis au point au IVe s. av. J.-C. pour la tombe de Philippe II, père d’Alexandre le Grand.
Toutefois, comme cette dernière, certaines tombes thraces inviolées ont aussi livré des trésors éblouissants : disposant de métal précieux, ils surent en effet développer une orfèvrerie d’une beauté exceptionnelle. On peut en résumer les trais principaux en disant que, sur un fond d’artisanat local qui se caractérise par la technique du repoussé et des décors un peu naïfs, sont venues se déposer plusieurs couches d’influences artistiques venues de l’extérieur : de la Perse, notamment (avant-trains de taureaux de pur style achéménide), des steppes de Russie (chevaux et animaux sauvages dans le style de l’orfèvrerie scythe) et surtout de Grèce : il est probable que des orfèvres grecs (et peut-être, plus précisément : macédoniens) sont venus se mettre au service des rois thraces, car de nombreux vases présentent des formes et un style typiquement grecs : coupes (à nombril, à godrons), canthares, rhytons se terminant par une tête d’animal, par une sirène).
La découverte la plus spectaculaire et la plus intéressante historiquement est celle du mausolée du roi Seuthès qui eut lieu en 2004 (par l’archéologue Gueorgui Kitov) non loin de Sofia. Le roi, mort vers 300 av. J.-C., fut inhumé en compagnie d’un prodigieux trésor : armes, pièces d’armure, bijoux (une couronne d’or) et vases précieux (en tout 130 objets). Mais la découverte la plus remarquable et la plus étonnante aussi fut celle de sa tête en bronze argenté qui ne se trouvait pas dans la chambre funéraire mais à l’entrée du couloir d’accès, sans doute pour une raison religieuse ou de rituel funéraire qui nous échappe. Cette tête, aujourd’hui conservée au musée de Sofia avec le reste du trésor, est une pure merveille. Le réalisme des traits et l’intensité du regard émanant d’yeux en pierres dures qui paraissent vivants, en font un des chefs d’œuvre de l’orfèvrerie antique, attribuable à un artiste malheureusement anonyme mais très probablement grec (ou, plus précisément, macédonien). Éloquent témoignage du raffinement d’une civilisation restée très rurale et que les Grecs, fiers de leur supériorité, se plaisaient à qualifier de barbare…